John Coplans construit et déconstruit son identité à l’argentique
La Fondation Henri Cartier-Bresson présente jusqu’au 16 janvier 2022 l’exposition « La vie des formes », le récit photographique de John Coplans étalé sur pas moins de treize années. L’artiste britannique a ici morcelé son propre corps nu avec un appareil argentique, dévoilant son intimité la plus pure.
Nous sommes en 1984, et à 64 ans le photographe britannique John Coplans commence son œuvre maitresse. Accompagné d’un assistant, il décide de prendre de multiples clichés de son corps nu dans son studio. Ce travail artistique monomaniaque durera plus d’une décennie, une décennie à travers laquelle l’artiste se découvre comme il ne s’est jamais découvert, dans une transcendance certaine et pourtant inqualifiable.
Fragments de fragments
On peut voir en l’autoportrait une manière pour le sujet de se réapproprier son image, de rendre celle-ci plus intelligible à ses propres yeux. Dans sa série photographique, John Coplans choisit d’une certaine manière de déconstruire sa propre entité. Il travaille à partir de fragments, des fragments de son corps saisis par le procédé photographique. Il divise et représente toutes les parties de son enveloppe, sous différents angles, à différentes échelles, à différents instants. Parfois ce sont les clichés en argentique eux-mêmes qui sont fractionnés en plusieurs morceaux, donnant l’impression d’une mutilation de son corps.
Dans ce travail artistique, John Coplans ne dévoile à aucun moment son visage, il ne veut alors pas rendre compte de son identité. L’intimité que l’on découvre pourrait aussi bien appartenir à personne, ou à tout le monde. On distingue dans sa démarche l’idée de déconstruire sa propre image, de donner à celle-ci à la fois aucune ou bien de multiples tangibilités.
Sans retouches
Cette déconstruction n’en est pas moins bénéfique pour l’artiste qui ressent dans son rôle de sujet photographique, une transcendance inexplicable : « Je ne comprends pas comment cela se produit, mais quand je pose pour l’une de ces photographies, je suis immergé dans le passé. L’expérience m’évoque celle d’Alice qui tombe à travers le miroir. […] » (John Coplans, My chronology, 2002). Pourtant c’est bien le présent qui rattrape John Coplans, qui a déjà dépassé la soixantaine au début de ce qui deviendra par la suite la série Self Portraits. Mais son corps vieillissant n’est pas une entrave à l’expression de son être, au contraire le temps qui passe est salvateur pour son âme : « La vieillesse est une des meilleurs choses qui me sont arrivées. Pour la première fois, je suis libre. » (John Coplans).
Il n’est donc pas question pour John Coplans de retravailler ses clichés. L’esthétique de son image est brute, les cadrages et les échelles de plan sont au plus proche de la matière organique. Se dévoile alors toutes les subtilités et imperfections de sa peau dans un noir et blanc rêche. Les retouches signeraient la mort de l’authenticité de son enveloppe corporelle, et par extension possiblement celle de son être. Il libère ici son esprit par le biais de son corps, bravant toutes concessions, règles de pudeur ou de bienséance, se dévoilant finalement plus à lui-même qu’à n’importe qui d’autre. Et c’est peut-être ainsi que les formes doivent vivres, affranchies de contraintes et de normes, témoignant seulement de leur expressivité la plus pure.
La vie des formes est à retrouver jusqu’au 16 janvier 2022 à la Fondation Henri Cartier-Bresson.
Visuel principal : Back with arms above, 1984, ©The John Coplans Trust