[Namur] « Facing Time », l’inoubliable invitation posthume de Félicien Rops à Jan Fabre
Du 14 mars au 30 août, le plasticien Jan Fabre répond à l’invitation posthume du grand peintre et dessinateur symboliste Félicien Rops (1833-1898) et investit la ville natale de ce dernier : Namur. A travers deux expositions croisées, une série de sculptures disséminées en ville et une programmation partenaire de Mons 2015, le face à face des deux artistes finit de nous convaincre que l’art l’emporte bien sur le temps. Toute la Culture était à l’ouverture de l’exposition à Namur et vous en rapporte de bien belles images…
[rating=5]
Cette rencontre artistique au sommet est née d’une invitation posthume. Et autour d’un mot d’esprit : Jan Fabre aurait dit que s’il devait voler une oeuvre ce serait le dessin de Félicien Rops « Ponocrates », qui est exposé au musée consacré à l’artiste, à Namur. Dès lors, avec la complicité de la conservatrice invitée, Joanna de Voos, Fabre a pu répondre à Rops s’installer dans sa ville.
Il faut dire qu’à 150 ans d’intervalle, leurs œuvres résonnent : l’un wallon, l’autre flamand, tous deux « loups solitaires », se mettant au defi pour toujours créer du nouveau. Selon madame de Voss les deux artistes partagent trois grandes caractéristiques : « Une imagination débridée, un art subversif et une fascination pour l’autre ». Tous deux jouent également à la fois l carte de la chair et de la mort pour choquer, bouleverser, avancer. Mais sans jamais oublier l’humour, qu’on retrouve dans l’installation que Jan Fabre a créée au cœur du Musée Rops, à travers un double de lui-même saignant du nez devant le fameux Pornocrates. En réponse à l’invitation de Rops, Fabre a donc laissé son sang, mais aussi ses larmes et son sperme sur certains dessins. Un bouillonnement d’humeurs et d’émotion sans compromis.
A l’intérieur, on retrouve le face à face des deux artistes dans deux expositions étonnantes. Au Musée Rops, donc où salle après salle, le vis-à-vis dévoile des thèmes communs (le déguisement des bourgeois de la Belle Epoque et des la robe d’immortalité formée par les scarabées de Fabre), l’animalité (magnifique salle des paons) et le sexe (à la fois effroyable et sensuel, avec des dessins de Fabre de la fin des années 1970). L’on découvre ou redécouvre aussi des aspects moins connus des deux artistes : Et puis, à la Maison de la culture, deux grandes salles sombres et majestueuses permettent à Fabre de caresser ses animaux intérieur face à des dessins de Rops.
Dans la série de bronzes Chalocosoma (2006-2012), Fabre présente scarabées, agneaux de dieu, béliers, vanités et autres totems sacrificiels face aux dessins grimaçants de Rops. A côté les chapitres I à XVIII d’animaux bien alignés sont réévaluées à l’aune d’un seul dessin de l’aïeul et de citations qui créent une rencontre de mots. Dernier intérieur, la célèbre Eglise Saint-Loup où Charles Baudelaire, accompagné de Félicien Rops, a titubé, Fabre a placé trois scarabées sacrés de la série Chalocosoma. Le résultat est mystique, majestueux, et ouvre le face à face à l’auteur des Fleurs du mal comme troisième interlocuteur. Un trio d’artistes qui permettent de penser le beau, le vrai et notre monde selon une conversation atemporelle et secrète que le philosophe Bernard-Henri Levy a éclairé aussi bien dans le catalogue de l’exposition que dans la conférence d’ouverture de l’exposition (Voir notre interview)
A l’extérieur, Fabre a aussi répondu présent en écho à Rops et à son fief. La belle ville de Namur se trouve envahie de sculpture en bronze de Jan Fabre. A travers des figures anthropomorphiques comme « L’homme qui rencontre les nuages », l’homme sur une grande tortue en haut de la Citadelle (« Utopia »), « L’homme qui dirige les étoiles » (Théâtre) ou le prométhéen « Homme qui donne le feu » (Jardin du Mayeur), Fabre interroge la condition humaine partout en ville.
Le résultat est absolument éblouissant. C’est probablement une des plus imposantes expositions de Jan Fabre qu’il nous ait été donné de voir depuis 2004 au MAMAC de Nice (http://www.surlering.com/article/article.php/article/jan-fabre-variations-macabres-sur-nice-392) (La carte blanche au Louvre semble presque une note de bas de page à l’aune de cette rencontre à Namur). Et comme le faisait remarquer BHL lors de la conférence d’ouverture, cette expérience d’exposition à travers une ville entière est une première qui incarne une idée forte : le temps n’a pas de prise sur l’art.
visuels : YH