
Le Palais de Tokyo « exposé.es » face au sida
Exposé.es est une exposition conçue par François Piron sur le conseil scientifique précis d’Élisabeth Lebovici. Elle en suit les chapitres du livre de l’autrice et chercheuse, Ce que le sida m’a fait. Art et activisme à la fin du XXe siècle. Un parcours monumental, foisonnant qui lance un nombre infini de réflexions.
Un grand bandeau nous cueille en haut des escaliers du Palais. Il est écrit : « La crise du sida ne fait que commencer. » C’est une œuvre de Gregg Bordowitz qui nous alerte comme une alarme. Le sida, au-delà de la question médicale, est un tsunami. Il a ravagé nos sexualités, il a arraché à la vie un nombre inouï de femmes et d’hommes, et parmi elles et eux, des artistes. Ce bandeau rappelle également que le sida n’est pas mort, lui. Il s’accompagne, il ne se soigne pas. En Europe, évidemment, nous ne sommes plus dans les années 1980. Mais ailleurs, à Cape Town, comme le documente Pascal Lièvre dans ses Body Maps qui sont des portraits de patient.e.s atteint.e.s du VIH ? On le comprend vite, « le » sida est très pluriel.
En réunissant plus de trente noms au générique, le sujet n’est pas la rétrospective. Il s’agit de se disperser pour mieux se rassembler. Ce sont peut-être les mots qui défilent de Yann Beauvais qui parlent le mieux de ce que l’on peut ressentir face à la tragédie. Ils sont implacables, en mouvement, vivants.
La grande force de cette exposition est aussi de faire dialoguer les vivants et les morts. On retrouve la douceur en noir et blanc, pleine de pudeur d’Hervé Guibert. On reste sans voix devant les chaises de Felix Gonzales-Torres, qui nous tournent le dos. On regarde encore et encore le buffle qui tombe, figé, de David Wojnarowicz.
Finalement, la mort est une invitée très bien élevée dans cette magnifique exposition. Elle est partout, mais sans hurler qu’elle a gagné. Les photos de Nan Goldin nous font comprendre la déchéance, la disparition.
L’ensemble de Exposé.e.s peut se résumer par les mots de Santu Mofokeng qui accompagnent ses portraits : « J’étais soucieux de ne pas créer de victimes sur mon chemin. »
C’est une exposition essentielle, à voir et à revoir. Sa richesse demande d’y passer du temps. Ne ratez pas le commentaire de texte, dans une synagogue new-yorkaise, de Gregg Bordowitz qui interroge les relations que l’on peut avoir à une forme de croyance.
Il ne s’agit donc pas d’exposer le sida, ni même des œuvres qui parlent du sida, mais bien d’utiliser cette épidémie comme une grille de lecture du monde depuis 1981. C’est vertigineux.
En parallèle, le CND propose un programme de spectacles, de performances et également d’expositions : « François Piron a proposé au Centre national de la danse une exposition personnelle de l’artiste guadeloupéen Jimmy Robert (1975, vit à Berlin) qui prolonge et fait écho à sa performance Joie noire (2019), créée en hommage au performeur, auteur et curateur Ian White, décédé en 2013, qui a collaboré à plusieurs reprises avec Jimmy Robert. »
Au Palais de Tokyo jusqu’au 14 mai.
Artistes : Les Ami·e·s du Patchwork des noms, Bambanani Women’s Group, Bastille, yann beauvais, Black Audio Film Collective, Gregg Bordowitz, Jesse Darling, Moyra Davey, Guillaume Dustan, fierce pussy, Nan Goldin, Felix Gonzalez-Torres, Hervé Guibert, Barbara Hammer, Derek Jarman, Michel Journiac, Zoe Leonard, audrey liebot, Pascal Lièvre, Santu Mofokeng, Jean-Luc Moulène, Henrik Olesen, Bruno Pélassy, Benoît Piéron, Lili Reynaud-Dewar, Jimmy Robert, Régis Samba-Kounzi & Julien Devemy, Marion Scemama, Lionel Soukaz & Stéphane Gérard, Georges Tony Stoll, Philippe Thomas, David Wojnarowicz & arms ache avid aeon: fierce pussy amplified (Nancy Brooks Brody, Joy Episalla, Zoe Leonard, Carrie Yamaoka, fierce pussy and Jo-ey Tang).
Curateur : François Piron
Conseillère scientifique : Élisabeth Lebovici
Assistant curatorial : Clément Raveu
Assistante d’exposition : Rose Vidal
Tous les articles du dossier “sida” de la rédaction 2009-2023.
Visuel : Vue de l’exposition « Exposé·es », 2023 © Quentin Chevrier