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Ce que David Wojnarowicz m’a fait ! (Entretien avec Marion Scemama)

Ce que David Wojnarowicz m’a fait ! (Entretien avec Marion Scemama)

16 December 2019 | PAR Sylvia Botella

Dans les années 1980-1990, la photojournaliste et réalisatrice Marion Scemama s’est immergée dans l’underground de la scène artistique new yorkaise dans ses ramifications les plus radicales en collaborant avec une des figures les plus emblématiques de l’East Village (proche de Peter Hujar, Keath Haring ou Nan Goldin) : le photographe, peintre, écrivain et performeur américain David Wojnarowicz. Homosexuel, militant Act up et farouche critique de la société américaine, David Wojanarowicz mourra du Sida à l’âge de 37 ans le 22 juillet 1992, laissant derrière lui une œuvre protéiforme d’une intensité rare et toujours désespérément actuelle. En 2019, dans le sillage de la première rétrospective en Europe de David Wojnarowicz au Mudam, Marion Scemama lui consacre avec François Pain le film/essai  Self-Portrait in 23 Rounds : a Chapter in David Wojnarowicz’s Life (1989-1991). Et l’exposition I Wake up Every morning in this killing machine called America à la New Galerie à Paris. Marion Scemama nous raconte (son) David Wojnarowicz.

Comment avez-vous rencontré David Wojnarowicz ?
C’est très mystérieux. C’est son absence qui a créé une étincelle. En 1983, j’ai découvert le Pier 34 grâce à un ami photographe de passage Alain Bizos – il travaillait pour le magazine Actuel – à New York où je vivais et travaillais. À cette époque-là, je ne fréquentais pas le milieu artistique new yorkais. J’ai eu un coup de foudre immédiat pour cet entrepôt délabré. J’étais « portée » par ce lieu… ses grands couloirs sombres et ses murs recouverts de fresques d’artistes. La lumière du jour passait par les trous du toit. J’ai fait du Pier 34 MON lieu à New York. Je voulais en garder physiquement, nerveusement la trace : j’y ai passé l’été à faire des photos. J’y ai réalisé un film de fiction.
Un jour, le graphiste Keith Davis – que je ne connaissais pas – est arrivé en plein tournage. J’étais en train de filmer un mur dont il était, par le plus grand des hasards, l’auteur. Nous avons longuement discuté. Il m’a expliqué que le Pier 34 avait été ouvert par l’artiste David Wojnarowicz. Et qu’il y avait invité les artistes à venir l’occuper et à y faire ce qu’ils voulaient.
À partir de ce moment-là, je n’ai eu qu’une seule envie : je voulais rencontrer David Wojnarowicz. Je lui ai laissé vainement plusieurs messages vocaux sur son répondeur. Jusqu’à ce qu’en 1983, le journal Ici New York – un journal pour les Français qui résidaient à New York – pour lequel je travaillais comme photojournaliste propose à la journaliste et artiste plasticienne Brigitte Engler avec laquelle je collaborais, de faire un sujet sur l’East Village Nous avons rencontré, entre autres, des artistes, parmi lesquels, il y avait David Wojnarowicz. Brigitte Engler lui avait fixé rendez-vous dans un café pour l’interview. Très vite, j’ai été – comme beaucoup – subjuguée par sa voix et son aura, celle-là même qui planait au-dessus du Pier 34. Je n’ai pas décroché un seul mot pendant l’interview. Lorsqu’elle s’est achevée, il était déjà 18 heures. Il était trop tard pour faire des photos au Pier 34. Après les fêtes de Noël, nous nous sommes donc retrouvés pour un shooting au Pier 28, un autre entrepôt qu’il avait ouvert avec des amis pour fuir le Pier 34 devenu trop « hype ». Trois semaines après, Dean Sevard le fondateur avec Allan Borrows de la Civilian Warfare Gallery, m’a contactée pour que je fasse des photos de David. Il m’a proposé de nous retrouver à son appartement. La porte d’entrée donnait directement sur la cuisine. Lorsque je suis entrée, David était en train de faire des têtes en plâtre pour sa future exposition. Et c’est comme ça, qu’est née cette photo (ndlr, Marion Scemama me montre la photo exposée qui est le poster de la première exposition personnelle de David Wojnaowicz en 1984).

Vous avez présenté le film/essai que vous avez réalisé avec François Pain sur David Wojnarowicz « Self-Portrait in 23 Rounds : a Chapter in David Wojnarowicz’s Life (1989-1991) » dans le cadre de l’exposition Peter Hujar Speed of Life au Jeu de Paume. Le film se base sur une longue interview dirigée par le philosophe Sylvère Lotringer.
Après avoir quitté New York en 1986, j’ai recroisé un jour par hasard David à Beaubourg en 1988. Du coup, je suis retournée plusieurs fois à New York travailler avec lui. En 1989, le cinéaste berlinois Rosa von Praunheim voulait réaliser un film documentaire sur l’épidémie du sida sur la base d’interviews avec des performeurs, des vidéastes, des plasticiens de la scène underground new yorkaise. Forcément, il y avait David ! David m’a appelée et m’a demandée de le rejoindre avec une caméra à New York. David avait une telle appétence pour le travail, qu’il fallait pour collaborer avec lui, avoir une capacité de donner à sa hauteur. J’ai loué une camera vidéo 8mm et je l’ai rejoint. J’ai filmé le tournage de « Silence = Death » de Praunheim – on voit des fragments dans « Self-Portrait in 23 Rounds ». Cette expérience fut très intense, voire perturbante. Car nous étions physiquement très proches l’un de l’autre. On parlait beaucoup de sexualité. David se livrait beaucoup.
Un jour, alors que David se plaignait de ne pas intéresser les intellectuels mais seulement les journalistes avides de son côté « enfant des rues » ou « prostitué » – ce qui était d’une certaine manière sa mythologie -, je lui ai proposé de rencontrer le philosophe et écrivain français Sylvère Lotringer dont j’étais très proche depuis les années 1970. Je l’avais connu par l’entremise de Félix Guattari. Sylvère Lotringer incarnait la figure de l’intellectuel branché qui fréquentait la scène underground new yorkaise. Professeur à l’Université Columbia de New York, il a traduit et publié les plus grands philosophes français : de Deleuze à Foucault en passant par Guattari ou Baudrillard. Il a créé aussi la revue Semiotext(e). Sylvère Lotringer est un grand intervieweur. Il possède des milliers d’heures d’interviews des grandes figures de l’underground new yorkais de ces années-là.
David a immédiatement accepté d’être interviewé par Sylvère Lotringer. Et vice versa. Car Sylvère connaissait bien le travail de David. J’ai organisé l’entretien dans le loft de David. Et comme j’y étais présente avec une caméra, je leur ai proposé de les filmer. Je l’ai fait caméra à l’épaule durant 4 heures et demie. Au début de l’interview, David était très tendu. On sentait chez lui une certaine retenue. Certes, il rêvait d’être interviewé par un intellectuel mais dans le même temps, ça le troublait beaucoup. Heureusement, il a fini par se détendre.
Après l’interview, j’ai envoyé la bande son à Sylvère. Il a publié l’entretien dans son ouvrage « David – Wojnarowicz – A definitive History of Five or Six Years on the Lower East Side ». Je ne pensais pas faire quelque chose des images. Je les ai laissées dormir pendant plus de 20 ans. Sans doute parce que j’avais beaucoup de mal à voir et entendre David. C’était trop émotif. J’ai plutôt travaillé sur les vidéos qui ponctuent, aujourd’hui, « Self-Portrait in 23 Rounds ».
Sylvère a toujours soutenu mon travail. C’est lui qui m’a suggéré de contacter le Plug in Institut of Contemporary Art à Winnipeg au Canada. En 2011, j’y ai été en résidence avec François Pain pour réfléchir sur la structure du film / essai. Puis, nous avons fait une longue pause jusqu’en 2014. Cette année-là, j’ai appris que le Whitney Museum envisageait de faire une grande rétrospective sur l’œuvre de David Wojnarowicz. J’ai réalisé un teaser de 15 minutes à partir du matériau dont nous disposions. Et je leur ai envoyé. Tout de suite, ils ont voulu l’inclure dans le programme de la rétrospective qui a été reculée en 2018. Nous avons donc eu le temps de peaufiner notre travail. J’ai obtenu une bourse de l’Institut Français pour faire une résidence avec François Pain à New York. Nous avons eu accès aux archives de David Wojnarowicz à la Fales Library. Tom Rauffenbart, l’ayant droit de David Wojnarowicz m’a donné l’autorisation. Pareil, pour la P.P.O.W. Gallery concernant la création artistique.

En vous écoutant, on a le sentiment que l’essentiel se joue dans la relation à l’autre. C’est ce que l’on ressent quand on regarde «Self-Portrait in 23 Round ». Paradoxalement, il apparaît plus « peuplé » qu’il ne l’est.
Oui, exactement. Et c’est ce que j’aime dans ce film. On sent, par exemple, la présence de David, Sylvère et moi. Alors qu’à l’image, on voit peu Sylvère. Et qu’on ne me voit pas du tout.

D’où vient le titre du film ?
Je ne voulais pas monter cette interview de manière chronologique. À l’origine, «Self-Portrait in 23 Rounds », c’est le titre du premier chapitre de « Close to the Knives : A Memoir of Disintegration (ndlr, « Au bord du gouffre, mémoire d’une désintégration », traduit de l’anglais par Laurence Viallet, 2004). En fait la structure du film est construite sur 23 Rounds – chapitres ou sous chapitres – Il faut également souligner que le chiffre « 23 » a toujours été très important pour David. Il correspond au nombre de paires de chromosomes du génome humain.

«Self-Portrait in 23 Rounds : a Chapter in David Wojnarowicz’s Life (1989-1991) » est tragique. Pourtant il est aussi d’une extrême drôlerie. Je pense notamment à sa scène d’ouverture.
Pour moi, il était très important d’ouvrir le film avec le rire d’un David léger ! Et puis, d’enchainer les sujets : « son amour pour les animaux » (vidéos « What’s This Guy’s Job in the World » – 1989, « Itsofomo » 1989 etc.), « son travail », « sa sexualité », « son amitié avec Peter Hujar », « le sida »… Un peu à l’image de ce qu’a été sa vie. Comme David l’explique bien dans le film : toute sa vie, il a voulu faire des choses !
François Pain a fait un magnifique travail de montage à partir du storyboard composé de 23 tableaux que David a imaginé durant notre séjour dans la région des grands lacs, l’été 1989.

Vers la fin du film, l’idée de la mort envahit la parole, l’écran.
Oui, au fur et à mesure, le film glisse vers la maladie, la mort. David parfois ne parvient même plus à déglutir. Il réfléchit en parlant, c’est ce que j’aime jusqu’au rêve du scorpion. Le film se termine par un monologue qu’il m’adresse. (ndlr, Marion égrène les phrases de David Wojnarowicz : « Et alors ? On a des images de David en rage, de David en colère, aux prises avec la peur, tous ces trucs dont je ne peux imaginer l’usage qu’après ma mort ! Encore une fois, combien de milliers de gens sont déjà morts du sida ? Il va nous falloir combien d’images de ce pédé agonisant seul sur sa chaise ? »).

Ce monologue est extraordinairement fort. D’où vient-il ?
Un jour, je sentais que David me cherchait, il avait envie que quelque chose éclate ! J’ai réussi à prendre une certaine distance. Car sa colère n’était pas dirigée contre moi. Je lui ai dit : « arrête de me chercher ! Si tu as quelque chose à dire, prend le micro et parle ! ». C’est ce qu’il a fait, il parle de l’absurdité du film qu’on doit faire : « participer de mon vivant à ma biographie posthume, ça me paraît taré ». Le sida, David en est mort.

Quelle est la place de l’œuvre de David Wojnarowicz dan l’histoire de l’art américaine en particulier et dans l’histoire de l’art en général ?
C’est un artiste très singulier dans l’histoire de l’art américaine. Il écrivait il peignait, il réalisait des vidéos, des films super 8, des performances. Lorsqu’il éprouvait l’urgence de dire quelque chose, tout support était possible.
Lorsqu’on voit la rétrospective David Wojnarowicz. History keeps Me Awake at Night au Mudam Luxembourg, on remarque combien son œuvre utilise l’imagerie Pop Art jusqu’à la mort de Peter Hujar en 1987. À partir de 1987, la cadence de son travail s’est accélérée. Elle est à relier à l’urgence de la maladie, à la crise du sida. On prend aussi en plein visage sa révolte vis à vis des hommes politiques américains et de leurs politiques en matière de santé publique. Même si David a toujours été un artiste politique, très critique à sa manière.
Beaucoup de jeunes étudiants ont rédigé leur mémoire sur l’œuvre (ou certains aspects) de David Wojnarowicz : Maria Slautina, Anne Charlotte Michaud, etc. Maria Slautina s’est intéressée particulièrement à la photo « Untitled, Face in dirt » que j’ai prise de David à son initiative à Chaco Canyon en mai 1991, un an avant sa mort – il est mort le 22 juillet 1992 – en questionnant l’idée de la collaboration dans l’art. Elle conclut qu’il ne s’agit pas d’une collaboration mais que cette photo n’aurait pas pu être possible sans Marion Scemama. Je partage son analyse. Durant ses recherches, Maria Slautina a découvert dans les journaux de David une note sur un rêve qu’il avait fait datant du 11 décembre 1979: « They’ve buried me in the coarse brown earth, all the way up to my teeth; somehow the mouth must be openned wide so that filings of dirt spread within the jaw, over the white porcelain teeth, leaving one tooth exposed down to the gum ». Elle pense qu’il a gardé cette image en tête toute sa vie. David a beaucoup voyagé tout le long de sa vie avec des amis, il aurait pu demander à l’un d’entre eux de faire cette photo. Pourtant, c’est à moi qu’il a demandé de la faire. Dans « WEIGHT OF THE EARTH, tape journals of David Wojnarowicz » Semiotext(e), David dit à propos de moi: « I felt great to work with her in the darkroom yesterday. It just felt great to have a person I could talk with and joke with and explore with, and I think that’s one of the greatest things that she gives me – she doesn’t make any American kind of judgments about what I do ». C’est vrai. Je n’ai jamais jugé son travail. Après, notre voyage dans la Death Valley, David a décidé de se concentrer sur ce qui lui restait à vivre, sa maladie, le combat contre le Sida et sa relation avec Tom Rauffenbart. À partir de ce moment là, il a décidé de ne plus me voir. À rebours, je pense qu’il m’a « donné » cette photo parce qu’il savait que je ne serais pas là au moment de sa mort, comme lui l’avait été à la mort de Peter Hujar et l’avait photographié quelques minutes après son dernier soupir.
Dans le film, David Wojanrowicz évoque son amitié avec Peter Hujar
J’ai voulu absolument garder le moment où David parle de ce que lui a fait endurer Peter Hujar avant de mourir. Il évoque sa dureté. Peter les « torturait » d’une certaine manière. C’est rare de faire preuve d’une telle franchise. Car après la mort de quelqu’un, on a toujours tendance à l’encenser. À contrario, David était extrêmement gentil, très doux avec son entourage avant de mourir. Cinthia Carr l’explique bien dans son livre « Fire in the belly : The Life and Times of David Wojnarowicz » (2013).

Est-ce qu’on peut dire que Peter Hujar a influencé le travail photographique de David Wojnarowicz ?
À la mort de Peter Hujar, David s’est installé dans le loft de Peter où il y avait un labo photo ce qui, à mon sens, a fait explosé son travail photographique. Bien évidemment, les œuvres photographiques de Peter Hujar et de David Wojnarowicz n’ont rien à voir l’une avec l’autre. Peter Hujar était un « Fine art(s) » photographer, extrêmement méticuleux. Ses photographies sont très léchées. Tandis que l’œil de David voyait le monde tel qu’il était. Pourtant j’ai toujours eu le sentiment que l’autodidacte qu’était David, était très impressionné, voire influencé par le travail de Peter. On peut observer l’influence qu’a eu Peter Hujar sur le travail de recadrage des photos de David Wojnarowicz dans l’exposition. David recadrait ses photos au format moyen ou carré. Peut-être pour être davantage pris au sérieux par les professionnels de la photographie d’art.
Concernant notre collaboration, je pense que d’une certaine manière, j’ai libéré David du poids sacré de la photographie. Car je n’ai jamais sacralisé mon geste. Je suis d’abord photojournaliste. Je me souviens avoir dit un jour à David que je préférais voir mes photos publiées dans un journal qu’accrochées sur les murs d’une galerie parce que dans un journal, des milliers de personnes voyaient mes photos alors que dans une galerie, ils étaient tout au plus une centaine, et je me souviens qu’il m’avait regardé bizarrement, comme si cette idée ne l’avait jamais effleuré.

Justement, vous consacrez une exposition à David Wojnarowicz I Wake up Every morning in this killing machine called America à la New Galerie à Paris. Vous présentez un important ensemble de photographies vintage de David Wojnarowicz tirées par lui-même entre 1988 et 1989 dans le labo de son ami et mentor Peter Hujar, à New York, issues de votre collection personnelle. Ainsi que vos photographies et vidéos réalisées en collaboration avec lui.
Pour moi, cette exposition est une des portes d’entrée possibles de l’œuvre de David Wojnarowicz. C’est comme une première empreinte. Car visiter une exposition ne vise pas à acquérir un savoir, mais plutôt à garder une trace, longtemps. Pour qu’au moment où on décide d’aller plus loin dans l’œuvre, il y ait déjà quelque chose.
À l’origine, je n’avais pas l’intention de montrer mes photographies que je considère avant tout comme un témoignage. C’est la galeriste Marion Dana qui a insisté. Au sous-sol, je présente notamment les photos que j’ai prises au Pier 34 ou au Pier 28, des détails de murs, etc. Et aussi certaines vidéos violentes de David Wojnarowicz pour laisser entrevoir le caractère plus charnel de son œuvre.
Dans cette exposition, j’ai également envie de montrer quelque chose de l’ordre d’une amitié entre David et moi. Le fait qu’il m’ait donné autant de photos témoigne bien qu’il y avait quelque chose de l’ordre de l’échange entre nous. David disait de nous : « we are from the same brain! ». Et moi de lui : « you are my incestuous mind lover! ».

EXTENSION(S)*exclu : 4 souvenirs pour une histoire de Rimbaud
Un des plaisirs stimulants d’un entretien, c’est qu’il peut être chahuté à tout moment. C’est ce qui s’est passé de manière surprenante et bienheureuse, le jour où je suis allée rencontrer Marion Scemama à la New Galerie à Paris. J’ai assisté aux retrouvailles de Marion Scemama et Jean-Pierre Delage. Ils ne s’étaient pas vus depuis très longtemps. Jean-Pierre Delage est le premier amour (et un des grands) de David Wojnarowicz et vivait à Paris – DW aimait bien la France où sa sœur Pat vivait et travaillait comme mannequin. Et Jean-Pierre Delage est également – peu le savent – celui qui a inspiré à David Wojnarowicz la série Rimbaud qui a débuté à Paris et qui s’est poursuivie plus tard à New York.
Au-delà ou en-deça des retrouvailles, il y a les confidences, les sentiments, les séparations, les secrets, les coups de colère, l’amitié. Et puis, il y a les souvenirs qui donnent toute leur place, leur puissance à l’amour, à la jeunesse et à la lumière. Il fait déjà nuit. Dans un élan joyeux, Jean-Pierre s’assoit en face de moi. Et il me confie ses souvenirs : « Il y en a beaucoup ! Mon premier souvenir, c’est ma rencontre avec David dans les jardins du Louvre fin 1979. Elle est un peu surréaliste. Ça fait boom ! Il fait nuit. Je ressens sa présence ! Je remarque son aura ! La première chose qui vient ? Je lui dis simplement : ‘Bonjour !’, en français. Il me répond : ‘Hi! Je ne parle pas français’. Et je le rassure : ‘Ah ok ?! No problem’ (rires). David avait une voix extraordinaire, elle était très envoûtante. Ce jour-là, elle m’a subjuguée ». Pause. Un visiteur entre. La porte de la galerie claque. Puis, Jean-Pierre reprend : « mon deuxième souvenir, c’est : nous partons ensemble en vacances, à Montgaillard. Il prend cette fameuse photo où j’ai un tee-shirt remonté sur la tête, adossé à un mur. C’est la première photo qu’il vend à un journal américain. Il m’envoie un courrier disant : « regarde ! J’ai vendu la photo que j’ai faite de toi dans la mine de bauxite ». Marion Scemama et la galeriste Marion Dana, ne sont pas loin de nous, silencieuses, elles sourient souvent. Les visiteurs continuent de s’engouffrer dans la galerie. Jean-Pierre poursuit : « Mon troisième souvenir, c’est : un copain me prête son studio au Touquet. Pat, la sœur de David qui était en déplacement, m’avait demandé de garder son chien. Nous nous mettons à courir avec le chien sur la plage. Nous sommes jeunes, nous sommes libres et nous sommes heureux ! Tout simplement ! Je pourrais rester des heures assis avec vous à égrener mes souvenirs avec David. Enfin, mon quatrième souvenir, c’est : lorsque je viens voir David à New York, il m’entraine à Coney Island pour faire des photos. Je porte une veste noire, un tee-shirt, etc. Ainsi que le masque de Rimbaud. Oui, je suis le Rimbaud sur une bonne moitié de la série. Les autres sont Brian et Tom ». Dans la pénombre, Marion Scemama explique : « David a commencé la série des Rimbaud avec Jean-Pierre à Paris ! J’ai toujours pensé que David avait été influencé par Ernest Pignon Ernest. Car à cette époque-là, Ernest Pignon Ernest tapissait les murs de Paris avec ses Rimbaud vagabonds ». Jean-Pierre Delage sourit. David Wojnarowicz,veille, toujours. Et s’il doit rester une image de cet après-midi là, c’est la première, et la dernière, la même à double fond hantée par David Wojnarowicz, celle qui dessine un chemin plus secret, plus touchant, et conjure la mort : Marion Scemama et Jean-Pierre Delage en train de commenter les œuvres de David Wojnarowicz à la New Galerie. Le bloc espace-temps est resté intact. L’histoire se continue.

N.B. : Sylvia Botella remercie infiniment Jean-Pierre Delage d’avoir accepté de rompre son silence et son anonymat pour le présent article et Toutelaculture.com. Et elle le remercie de sa confiance.

Le titre du présent article est inspiré du titre de l’ouvrage « Ce que le sida m’a fait : art et activisme à la fin du XXe siècle », Elisabeth Lebovici, jRP/Ringier, Paris : La Maison rouge, 2017.

I wake up every morning in this killing machine called America / Marion Scemama, du 11 octobre au 21 décembre, New Galerie, Paris http://www.newgalerie.com

Première rétrospective en Europe de David Wojnarowicz. History keeps Me Awake at Night, du 26 octobre 19 au 9 février 20, Mudam, Luxembourg https://www.mudam.com/fr/

Exposition Peter Hujar Speed of Life, du 15 octobre 19 au 19 janvier 20, Jeu de Paume, Paris http://www.jeudepaume.org

Paraîtra aux éditions Laurence Viallet, en septembre prochain, “Dans l’ombre du rêve américain”.

Visuel : ©MARION SCEMAMA – SILENCE = DEATH, 1989 – Photo courtesy : Marion Scemama and New Galerie, Paris

Visuel : ©Aurélien Mole – Photo courtesy: New Galerie, Paris

Visuel : S. Botella, J.P. Delage et M. Scemama, New Galerie, décembre 2019 (c) Sylvia Botella

 

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Sylvia Botella

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