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David Wojnarowicz, l’artiste tout terrain engagé de l’East Village

David Wojnarowicz, l’artiste tout terrain engagé de l’East Village

30 November 2011 | PAR Yaël Hirsch

Alors que paraissent enfin en Français ses derniers ouvrages, la BD “Seven Miles a second” et les poèmes illustrés “Spirale”, l’artiste David Wojnarowicz, mort du Sida en 1992 à l’âge de 38 ans se rappelle à la mémoire d’un public français qui l’a connu tard et trop peu, grâce au patient travail de sa traductrice Laurence Viallet. Portrait d’un jeune-homme touche à tout ultra doué et justement très enragé.

Transformer le privé en quelque chose de public est un acte qui a d’immenses répercussions dans le monde réinventé“.

Lorsqu’on m’a appris que j’ai contracté le virus j’ai tout de suite compris que c’était surtout cette société malade que j’ai contractée“.

Né dans une petite ville de New Jersey, dans une famille d’origine polonaise, David Wojnarowicz mène dès l’âge de 8 ou 9 ans une double vie : élève studieux vivant encore chez ses parents, il commence sa vie sexuelle très jeune et se prostitue dès l’enfance. Quittant le nid familial pour Manhattan, il commence par vivre dans la rue, mais parvient néanmoins à décrocher un diplôme de la High school of Music and Arts de Manhattan. Il évolue dans le milieu artistique du east-village du début des années 1980, aux côtés d’artistes comme Lydia Lunch, Nan Goldin (voir notre article), Richard Kern ou Kathy Hacker. Il se fait connaître pour son rôle dans le groupe 3 Teens Kill 4, ses silhouettes en feu représentées au pochoir sur les murs de la ville et sa première grande série de photos où il fait poser son amant avec un masque de Rimbaud dans toute la ville (1979-1980, voir ci-contre). Ses peintures et ses photographies sont des collages néo-dada avec un zeste d’inspiration pop dans lesquels Wojnarowicz inclut parfois déjà un peu de texte. En 1985, il expose au sein du so-called Graffiti Show de la Biennale du Whitney Museum. Plus tard une de ses photos fait le tour de la planète en couverture du single “One” de U2, extrait de l’album “Achtung Baby”.

En 1987, David Wojnarowicz est durablement ébranlé par la mort du sida de son mentor, le photographe Peter Hujar. Il s’engage très tôt dans la lutte pour la reconnaissance des droits des homosexuels, au moment même où le mouvement d’Act Up s’organise à New-York. Réalisateur, il tourne en super 8 le bouleversant “Fire in my Belly”, sorte de vanité moyenâgeuse accusant le monde d’ici bas d’oublier les laissés pour comptes (1987, 13 min, voir ci-dessous et attention certaines scènes peuvent choquer les plus jeunes ) dont 4 minutes projetées à la National Portrait Gallery de Washington ont été censurées … l’an dernier! Alors que l’administration Reagan ne dit pas un mot et ne prend pas une mesure pour enrayer la progression de la maladie de 1982 à 1987, l’objectif de Wonjnarowicz a pour but de plus en plus explicite de “toucher le maximum de monde”, selon les mots de Félix Guattari.

La nouvelle de sa propre contamination renforce encore l’engagement de l’artiste. C’est son image et son long visage que l’on associe au fameux slogan “Silence = Death”, alors qu’il est au cœur du film éponyme du réalisateur allemand Rosa von Praunheim. Et Wojnarowicz se plonge dans l’écriture de son récit de vie “Au bord du gouffre” (“Close to the Knives”, 1990, parution française 2004), qu’il dédie aux jeunes gens qui, comme lui, pourraient toujours se sentir isolés et marginaux. Inspiré par des auteurs comme Burroughs, extrêmement émotionnel et puissant, Wojnarowicz écrivain exprime aussi sa colère dans la lecture publique de ses écrits : “Je me réveille chaque matin dans cette machine à tuer appelée l’Amérique et je transporte cette rage comme le sang saturé d’œufs et il y a une ligne très fine entre la pensée et l’action et cette ligne est seulement faite de muscle et d’os et je me réveille de plus en plus de rêves éveillés de verser du sang infecté dans des sarbacanes amazoniennes“.

Une fois que ce corps m’aura laissé tomber, j’aimerais que mon expérience continue de vivre. c’était un soulagement absolu de mettre des mots sur ces choses-là, un soulagement incommensurable“, avouait David Wojnarowicz à Nan Goldin. Des mots que le public français peut lire aux éditions du Diable Vauvert et aux  Éditions Laurence Viallet.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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