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Ken Domon, l’illustre méconnu de la photographie japonaise

Ken Domon, l’illustre méconnu de la photographie japonaise

27 April 2023 | PAR Laetitia Larralde

Pour la première fois en France, la Maison de la culture du Japon à Paris présente une rétrospective du photographe iconique japonais Ken Domon. Portrait d’un grand artiste et de son pays.

En France, le nom de Ken Domon (1909-1990) est presque inconnu du grand public. On connait pourtant ses successeurs, tels que Daidô Moriyama ou Hiroshi Sugimoto, dont les bases se retrouvent dans la théorie photographique et philosophique de Ken Domon. S’il a énormément publié ses photos et écrits dans des livres et des magazines au Japon, presque rien n’a été publié en langue étrangère, manque aujourd’hui comblé avec le catalogue de l’exposition. Comme il se définit lui-même, Ken Domon est un japonais qui veut raconter la culture japonaise aux japonais.

Dans son pays, il est une figure incontournable, au point d’être le premier photographe à avoir un musée qui lui est entièrement dédié à Sakata, sa ville de naissance, dans le nord du Japon. Conçu par l’architecte Yoshio Taniguchi, le musée est entouré d’un jardin de sculptures créé par Isamu Noguchi (sculpteur et designer) et Sôfû Teshigahara (fondateur de l’école d’ikebana Sogetsu), et son identité graphique a été pensée par le designer graphique Yusaku Kamekura. Cette réunion d’artistes autour de Ken Domon nous montre l’étendue de l’influence du photographe, ainsi que son implication dans la culture contemporaine.

Avec une centaine de photos allant des années 1930 aux années 1970, l’exposition nous dévoile les différents thèmes qui ont traversé l’œuvre de Ken Domon, qui reflètent la société japonaise et ses bouleversements de cette époque. Des sujets durs tels que la guerre, l’occupation américaine, les répercussions d’Hiroshima ou la misère sociale cohabitent avec son attrait pour l’artisanat traditionnel, les portraits des personnalités artistiques de son temps et une fascination pour les temples anciens. Entre photojournalisme et photo d’art, la limite est parfois floue.

Les photographies sont dans un noir et blanc souvent très contrasté, les noirs profonds venant souligner son sujet, à l’exception de sa série sur les temples anciens et les sculptures bouddhiques, où des couleurs assourdies apparaissent. On est dans le Japon de Jun.ichirô Tanizaki et son Eloge de l’ombre, où l’or des statues ne s’apprécie réellement que sorti de l’ombre par la flamme d’une bougie. Mais en même temps, on ne peut s’empêcher de penser aux photographes français des années 1940-50 tel que Cartier-Bresson dans les compositions de ses clichés.

Ken Domon, réputé être un vrai démon pendant qu’il travaillait, s’est pourtant attaché à photographier les enfants. Ces photos sont souvent joueuses et innocentes alors qu’elles rendent compte d’une réalité sociale difficile comme l’extrême pauvreté des anciens villages miniers ou la lutte des survivants de la bombe atomique face aux conséquences physiques et sociales longtemps passées sous silence. Dans ses photos de propagande nationaliste de la fin des années 1930, passage obligé pour les photographes qui voulaient travailler, c’est également aux jeunes gens, soldats ou infirmières, que Ken Domon s’intéresse dans ses images à la composition très codifiée.

Ken Domon, dont le travail a documenté un territoire et des époques autant dans les injustices du quotidien que dans la beauté de l’intemporel, a continué à travailler malgré les hémorragies cérébrales qui l’ont handicapé, avant de l’emporter. Cela le poussa à trouver d’autres façons de photographier, d’autres points de vue, toujours porté par les mêmes sujets. Avec ce réalisme sans filtre mais jamais brutal, il a su instaurer une intimité touchante avec ses modèles tout en brouillant les frontières entre art et documentaire, récit privé et histoire d’un pays. Un photographe à découvrir sans attendre.

Ken Domon, le maître du réalisme japonais
Du 26 avril au 13 juillet 2023
Maison de la culture du Japon à Paris

Catalogue de l’exposition : Ken Domon, le maître du réalisme japonais – sous la direction de Rossella Menegazzo – éditions Skira

Visuels : 1- Enfants faisant tourner des parapluies, Ogôchimura, photographie de la série Enfants, vers 1937, Ken Domon Museum of Photography / 2- Carrefour à Ginza 4-chôme, Tokyo, 1946, Ken Domon Museum of Photography / 3- Tsuguharu Foujita (peintre), 1948, Ken Domon Museum of Photography / 4- La mère, photographie de la série Hiroshima, 1957 – Ken Domon Museum of Photography / 5- Pont Musaibashi de l’étang Garyô-ike, temple Eihô-ji, Gifu, 1962 – Ken Domon Museum of Photography

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Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

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