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Hiroshige et l’éventail, la beauté de l’éphémère

Hiroshige et l’éventail, la beauté de l’éphémère

17 February 2023 | PAR Laetitia Larralde

Le musée Guimet nous offre une nouvelle fois la possibilité d’admirer des estampes japonaises d’une qualité remarquable autour du thème des éventails de Hiroshige.

Aujourd’hui, qui dit exposition d’estampes japonaises, évoque la Collection Georges Leskowicz. Depuis quelques années, le collectionneur nous dévoile ses trésors, et les quelques quatre-vingt-dix œuvres exposées au musée Guimet, presque exclusivement issues de cette collection, nous en montrent encore une fois l’étendue et la qualité. Sur le sujet particulier de l’estampe pour éventail, la Collection Georges Leskowicz est la plus importante collection particulière. Et puisqu’elles sont vouées à disparaître de par leur usage, voir des œuvres d’un niveau de conservation impeccable et de grande valeur esthétique est rare.

Utagawa Hiroshige, l’un des grands maîtres de l’ukiyo-e, l’estampe japonaise du XIXème siècle, a réalisé plus de 650 images destinées à être montées sur des uchiwa, des éventails plats en bambou. Les sujets sont variés et reflètent les goûts de son époque : les sites célèbres d’Edo (ancienne Tokyo), les scènes représentant des personnages féminins, les paysages, les fleurs et animaux ou encore des scènes littéraires. On retrouve ici les thèmes qui ont fait la renommée de Hiroshige, avec une composition de l’image adaptée à la forme de l’uchiwa. En plus de ces feuilles d’éventail, on peut également admirer des estampes d’autres auteurs mettant en scène la fabrication, la vente ou l’usage des éventails pour une remise en contexte de l’objet.

Si ces œuvres sont en aussi bon état, c’est qu’elles n’ont pas été montées sur leur structure de bambou. Nous pouvons voir quelques exemples du produit fini, soulignant le lien entre l’image du recto et celle du verso de l’éventail, mais l’usure se lit sur l’objet. Et c’est justement là, dans son usage saisonnier et quotidien, que se loge le paradoxe des estampes pour éventail. En effet, ces objets peu chers vendus l’été par des colporteurs ont d’abord été dédaignés par les premiers collectionneurs occidentaux et très peu conservés au Japon. Utilisé comme souvenir, comme support publicitaire ou comme moyen de populariser des séries d’estampes publiées en albums, l’éventail est un objet populaire, qui ne pouvait donc pas être une œuvre d’art.

Pourtant, ces images méconnues du très connu Hiroshige sont le résultat des talents combinés du créateur de l’image, du graveur et de l’imprimeur, ainsi que de leur éditeur. Cet objet d’apparence anodine nécessite une vingtaine d’étapes dans sa réalisation et utilise des images composées spécialement pour les éventails. Ceci met en exergue la question de la différenciation entre artisan et artiste et la hiérarchisation de la valeur de leur production. Pourquoi déprécier une œuvre produite en série (alors que chaque éventail possède une estampe originale) au profit de l’œuvre unique ? Pourquoi dévaloriser un savoir-faire transmis et affiné depuis des générations pour favoriser le travail d’un artiste qui se développera au mieux sur quelques dizaines d’années ?

Ces éventails, œuvres d’artisanat populaires et éphémères, nous montrent que l’œuvre d’art, le beau, peut faire partie du quotidien de tout un chacun. Et si l’on se réfère au concept japonais du mono no aware, la sensibilité pour le caractère transitoire des objets, leur fragilité au temps qui passe ne les rend que plus beaux, chacun portant sur lui les marques particulières de son usage. Une incitation à chercher la beauté au quotidien.

Hiroshige et l’éventail – Voyage dans le Japon du XIXème siècle
Du 15 février au 29 mai 2023
Musée national des arts asiatiques – Guimet, Paris

Visuels : 1-La fête des étoiles à Yanagishima, Série Sites célèbres d’Edo associés aux trois astres, Utagawa Hiroshige (1797-1858) – 1856, éditeur Ibaya Senzabur?, 22,2 × 28,7 cm. © Fundacja Jerzego Leskowicza / 2- Les Trente-six génies féminins de la poésie, Utagawa Hiroshige (1797-1858), Vers 1843-1846, feuilles d’éventail démontées © Fundacja Jerzego Leskowicza / 3- Le repiquage du riz à Fuch?, Utagawa Hiroshige (1797-1858), 1836, éditeur Ibaya Ky?bei, 22,8 × 28,5 cm. © Fundacja Jerzego Leskowicza / 4- Le fleuve Fuji-kawa, Série Les fleuves sur la route du T?kaid?, Utagawa Hiroshige (1797-1858), Vers 1849-1851, éditeur Kojimaya J?bei, 22 × 29 cm. © Fundacja Jerzego Leskowicza / 5- Saig? no ny?go, Série Les Trente-six génies féminins de la poésie, Utagawa Hiroshige (1797-1858), Vers 1843-1846, éditeur Ensh?ya Matabei, 23,3 × 29,2 cm. © Fundacja Jerzego Leskowicza

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Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

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