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Festival du dessin à Arles : [Interview] Frédéric Pajak et la passion du dessin

Festival du dessin à Arles : [Interview] Frédéric Pajak et la passion du dessin

26 April 2023 | PAR Hannah Starman

Entre le 22 avril et le 14 mai 2023, Arles accueille la première édition du Festival du dessin. Vera Michalski, présidente du groupe éditorial Libella, et Frédéric Pajak, dessinateur, écrivain, directeur de la maison d’édition Les Cahiers dessinés et arlésien d’adoption, ont choisi Arles pour y implanter un festival annuel, à la fois populaire et exigeant. Pour cette première édition, qui rendra hommage à Jean-Jacques Sempé, Arles ouvre ses plus beaux lieux, musées, églises, cloîtres, hôtels particuliers, fondations et centres culturels pour présenter 1200 œuvres et quarante artistes. Les expositions seront accompagnées de débats, de rencontres, de concerts et d’autres événements festifs. Frédéric Pajak nous révèle les coulisses de cet exploit et partage avec nous sa vision pour l’avenir du Festival du dessin à Arles.

Vous êtes directeur des Cahiers dessinés, commissaire d’exposition, écrivain et dessinateur. Aujourd’hui, vous inaugurez la première édition du Festival du dessin, qui réunit plus de mille dessins dans onze lieux patrimoniaux à Arles. Comment est né ce projet de festival ?

Il y a 21 ans, Vera Michalski et moi avons créé Les Cahiers Dessinés, une maison d’édition consacrée au dessin. A l’époque, on criait un peu dans le désert parce que personne ne s’intéressait au dessin. C’était très difficile de mettre des livres de dessin dans les librairies. Petit à petit, les choses se sont améliorées et, depuis, on a publié 150 monographies. C’est fantastique de faire des livres, mais on avait envie de prolonger cette expérience en montrant des dessins originaux. Même si les reproductions sont absolument magnifiques parce qu’on travaille avec de très bons partenaires, rien ne vaut le rapport avec le dessin original. L’exposition Les Cahiers dessinés, que j’avais organisée à la Halle Saint Pierre en 2015, a attiré 50 000 visiteurs, un exploit extraordinaire pour le dessin. Ensuite, j’ai fait trois expositions en Suisse, au Musée Jenisch à Vevey – Dessin politique, dessin poétique [2018/19], Portrait-Autoportrait [2021]et XXL-Le dessin en grand [2021/22]. J’ai également organisé une dizaine d’expositions dans des écoles d’art en France. Donc, j’avais déjà une expérience de commissaire d’exposition. Le Festival, c’était vraiment une idée de prolonger cet intérêt, cette passion pour le dessin.

Pourquoi avez-vous choisi Arles pour y implanter le Festival du dessin ?

Il se trouve que Vera a en partie grandi à Arles et que, moi, j’y habite depuis six ans. J’avais envie de ne pas être simplement un touriste dans cette ville. Je voulais apporter quelque chose. On a rencontré le maire, qui a été immédiatement conquis par l’idée et nous a tout de suite proposé d’exposer dans des lieux patrimoniaux. De son côté, Vera a réussi à obtenir d’autres lieux, comme Les Forges, un bâtiment de LUMA, et la Fondation Vincent Van Gogh. Finalement, Jean-Paul Capitani nous a prêté La Croisière. Le Festival est né de notre attachement à Arles et de notre volonté de montrer les dessins au public. Je trouve que la répartition des œuvres sur onze lieux d’exposition municipaux et privés permet aux visiteurs, non seulement de voir les œuvres, mais aussi de déambuler dans Arles et de découvrir la ville d’une autre manière. D’autant plus que, au-delà du dessin, nous organisons aussi des rencontres et des spectacles. Par exemple, on a invité Stephan Eicher à chanter dans le Théâtre antique. Hector Obalk a présenté son spectacle Histoire de la peinture en deux heures, qui est très drôle. L’Orchestre philharmonique de Cannes a donné un concert dessiné par Joël Person et Anna Sommer. On organise toute une série de rencontres autour du dessin, par exemple une table ronde avec Michel Thévoz sur le dessin à la marge ou une autre sur le dessin de presse avec Alexandre Devaux, Vuillemin, Wozniak et Paul Diemunsch, des rencontres avec Jacques de Loustal, Vuillemin, Anna Sommer, Noyau, etc. La veille de la fin du Festival, le 13 mai, on offre à tous les visiteurs et à tous les Arlésiens une fête de clôture, un grand repas ouvert au bord du Rhône. Cette relation à la vie et à la ville me tient beaucoup à cœur.

Le week-end d’inauguration montre un engouement manifeste pour ce nouvel événement culturel et le succès du Festival du dessin semble acquis. En revanche, on regrette la courte durée du festival. Comptez-vous prolonger la prochaine édition au-delà de trois semaines ?

J’espère avoir un peu plus de temps l’année prochaine. Pour ma part, j’aimerais pouvoir organiser la deuxième édition sur quatre ou cinq semaines. Cette année, on était contraints par le calendrier de la mairie, car il y a d’autres festivals qui sont programmés sur une partie des locaux que nous utilisons. C’est vrai que nous nous y sommes pris tard pour cette première édition. Les cinq membres du comité de direction, Vera et moi-même, nous avons commencé à travailler sur le projet en septembre 2022. On a travaillé vite et c’était intense. Notre équipe était absolument extraordinaire, des gens très compétents, une assistante de direction générale, une responsable de l’accrochage, de la signalétique, etc. Toutes des femmes, qui ont fait un travail considérable.

Selon quels critères avez-vous sélectionné les artistes participants ?

Avant tout, j’ai cherché la diversité. Sachant, toutefois, que pour cette première édition, la plupart des dessinateurs et les ayants-droits participants sont des gens que je connais de longue date. Je voulais montrer des dessinateurs très différents, que ce soit par rapport au style du dessin, à la technique ou au format. C’est important de pouvoir passer des toutes petites gravures de Tal Coat à des dessins monumentaux d’Olivier Estoppey et de Guy Oberson. C’est important que les gens, qui ne connaissent pas forcément le dessin, puissent faire des découvertes et que chacun y trouve son miel. Les spectateurs ne sont pas obligés de tout apprécier, mais je me rends compte, quand je fais des visites guidées, qu’ils réagissent bien. Beaucoup de gens se confrontent à des œuvres qui, a priori, les rebutent un peu, mais ils commencent à regarder et parfois ils les acceptent tout d’un coup. Il faut des dessinateurs très connus comme Pierre Alechinsky, Jean-Jacques Sampé, Roland Topor ou Jacques de Loustal, qui sont des dessinateurs connus du grand public, mais il faut aussi faciliter des découvertes. C’est tout l’intérêt d’un festival qui présente 1200 dessins et quarante artistes tellement différents les uns des autres que tout le monde peut s’y retrouver.

Vous-même avez découvert un artiste méconnu au destin extraordinaire que vous avez fait connaître et que vous exposez au Festival : Marcel Bascoulard, dessinateur virtuose et clochard travesti. Comment avez-vous rencontré son œuvre ?

Il y a une vingtaine d’années, je travaillais sur une monographie présentant les dessins et les gouaches de Raymond Queneau aux Cahiers dessinés. A cette occasion, j’ai rencontré son fils, Jean-Marie Queneau, qui est décédé récemment. C’était un personnage truculent, très intéressant et lui-même peintre. Un jour il m’a raconté que, quand il était gamin, il avait rencontré Bascoulard en personne et que c’était un dessinateur étonnant.  Il m’a montré des choses qu’il avait de lui et assez rapidement, j’ai fait un article intitulé “Il n’y a personne dans les rues de Bascoulard” dans la revue Les Cahiers dessinés et je me suis promis de faire une monographie. Cela m’a pris quinze ans car il fallait trouver les œuvres, les photographier et trouver une personne qui connaisse l’histoire de Bascoulard et son destin et qui puisse faire le texte. On va sortir une réédition de la monographie de Bascoulard, avec 19 lettres inédites et une centaine de pages supplémentaires. Le livre fait 400 pages maintenant.  

De nombreux artistes présentés à cette première édition du Festival ont une monographie éditée par vos soins. Comptez-vous offrir une monographie à chacun de vos artistes ?

J’édite et publie dix monographies par an, mais si je présente 40 nouveaux artistes chaque année, je n’arriverai pas à suivre. L’année dernière, nous avons publié des monographies de Joël Person et Jean-Baptiste Sécheret et celles de Jean Raine et de Victor Hugo viennent de sortir. Je n’ai pas réussi à boucler la monographie d’Aloïse qui sortira prochainement, ainsi que deux, trois livres sur les artistes qui seront exposés l’année prochaine.

L’exposition de la collection Moleskine, qui consiste en 1500 œuvres créées à partir du carnet mythique, est une des attractions majeures.  Cette année, huit artistes exposés au Festival ont été invités à produire une œuvre autour du thème “L’étranger en moi.” L’exposition Moleskine sera-t-elle maintenue dans les éditions suivantes ?

Oui, on l’espère. Moleskine compte parmi nos sponsors et je pense qu’on aura beaucoup plus de partenaires l’année prochaine. C’est difficile et long de forger des partenariats, d’autant plus que nous y sommes pris assez tard. Pour l’année prochaine, on commencera à chercher des partenaires tout de suite. Financièrement, c’est très important. Sinon, je n’interviens pas dans le choix d’artistes qui entrent dans la collection Moleskine. J’ai proposé quelques noms, mais c’est eux qui ont choisi. Ils en ont rejeté quelques-uns sur ma liste.

Avez-vous déjà une vision de la prochaine édition du Festival ?

Comme tête d’affiche, j’aimerais beaucoup rendre hommage à Toni Ungerer. J’ai eu la chance de le connaître avant sa disparition et j’ai beaucoup d’amitié pour lui. Nous avons fait trois livres ensemble. Je connais bien sa fille et le Musée Ungerer, avec qui j’ai travaillé à Strasbourg. Je pense que c’est tout à fait faisable et justifié, car Ungerer est un dessinateur international, très connu aux États-Unis, en Allemagne et dans beaucoup d’autres pays. C’est aussi un dessinateur transgénérationnel, qui a fait beaucoup de dessins pour les enfants. 

La programmation sera totalement différente l’année prochaine. Il y aura quarante nouveaux artistes dont dix jeunes. Il faut qu’il y ait des jeunes dessinateurs et j’irai à leur recherche. J’exposerai une dizaine de très jeunes dessinateurs largement inconnus, parmi lesquels par exemple, Lou Cohen, qui a à peine 25 ans, mais dont j’aime beaucoup le travail. J’irai aussi voir des gens que je ne connais pas encore. Le Festival s’ouvrira aussi sur d’autres continents, sur des dessinateurs africains, asiatiques et américains aussi, les Américains du Nord.

Visuel : © Les Cahiers Dessinés

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