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Art, nature et poésie à Chaumont-sur-Loire

Art, nature et poésie à Chaumont-sur-Loire

07 June 2020 | PAR Laetitia Larralde

Réouvert depuis le 16 mai dernier, le Domaine de Chaumont-sur-Loire a redéfini son calendrier et inaugure simultanément sa Saison d’art 2020 et son Festival des jardins. Pour sa douzième édition, la Saison d’art propose un parcours entre végétal et poésie de l’éphémère.

Les quatorze artistes contemporains de cette édition 2020 de la Saison d’art du Domaine de Chaumont-sur-Loire ont investi le château et le parc historique, nous invitant à une promenade artistique. Outre le lien évident des œuvres avec la nature, il se dégage une impression générale de légèreté et d’éphémère. En capturant l’instant fugace, les artistes mettent en avant la fragilité de la beauté et, dans un même mouvement, la figent et la rendent éternelle.

Merveilles du végétal

La Bibliothèque végétale de Block flowers, de Makoto Azuma, est la parfaite illustration de ce paradoxe. Les plantes, à l’apogée de leur splendeur, sont capturées dans un bloc de résine lisse et parfaitement transparent. Préservée dans sa totalité, de la fleur aux racines, la plante flotte dans cette capsule temporelle, offrant ce moment de beauté éphémère pour l’éternité. L’esprit du wabi-sabi enveloppe cette œuvre : ressentir la plénitude face à des choses imparfaites, impermanentes, modestes.

Elle aussi dans cette idée de collection et de préservation végétale, Marinette Cueco présente un herbier plus classique dans sa méthode de préparation des plantes, mais loin d’être banal. Séchées sous presse, les plantes récoltées au hasard des promenades de l’artiste, de l’algue à l’eucalyptus en passant par la pelure d’oignon, sont disposées en compositions fragiles et poétiques. Les feuilles s’alignent sagement, les pétales rappellent l’origine des colorations textiles, les fibres brillent d’un éclat soyeux : Marinette Cueco nous fait redécouvrir la beauté des plantes les plus communes.

Moment flottant et temps qui passe

Présentée à la biennale de Venise 2019 au premier pavillon de Madagascar, l’œuvre I have forgotten the night de Joël Andrianomearisoa vient s’inscrire dans un nouveau récit, celui de Ce soir la nuit ne veut pas s’arrêter, sur le passage du jour à la nuit et de la nuit au jour, avec les interruptions que sont l’aube et le crépuscule. Les deux installations principales en papier de soie, l’une noire et l’autre blanche, suspendues dans l’espace dans toute leur fragilité, prennent néanmoins de l’épaisseur et modulent l’espace par leur présence.

Les Paysages révélés de Philippe Cognée occupent plusieurs salles du château. Faits de cire d’abeille et de pigments chauffés au fer, ils capturent ces paysages vus par la fenêtre d’un train ou d’une voiture. Aperçus et sitôt disparus, ces champs et forêts à la présence fantomatique prennent corps dans le rythme abstrait de l’artiste.

La sculpture aérienne d’Isa Barbier capture elle aussi l’intangible. Ses plumes flottent dans l’espace pour signifier un faisceau de lumière, bougeant au moindre souffle d’air, tandis qu’Axel Cassel a choisi de figer la fumée dans ses œuvres. En sculptures ou tableaux, ses volutes arrêtées dans leur ascension deviennent presque végétales.

Fascination de l’arbre

Plusieurs artistes de la Saison d’art 2020 se rassemblent autour du thème de l’arbre et du bois. On retrouve des dessins, gravures et sculptures de Giuseppe Penone, et notamment son installation Tra, où la rupture du tronc est peinte en doré, rappelant l’art du kintsugi qui répare les porcelaines avec de l’or, transformant le défaut en atout, la fêlure en point fort.

En se promenant dans le parc, on découvre les couronnes de Vincent Barré autour de trois grands chênes, les souches peintes en noir témoins des tranchées de 1914 de Pascal Convert, ou encore l’installation de Bob Verschueren, Chemin de vie. Dans le cimetière des animaux, une créature de branchages tressés serpente entre les troncs, tel un arbre abattu qui reviendrait à la Terre.

Marc Nucera et Wang Keping ont choisi de faire du bois leur matière première, dans des styles très différents. Les sculptures de Marc Nucera, troncs découpés à la tronçonneuse posés sur un parterre de copeaux, ondulent dans des mouvements organiques, évoquant à la fois les arbres foudroyés et la souplesse de la nature. Les oiseaux de Wang Keping, quant à eux, ont l’éclat mat et la douceur des formes rondes et patinées. Si on oscille entre créatures disparues et statuaire africaine, la volière de Wang Keping donne malgré tout une sensation d’ancrage dans le sol très marquée.

Mystères naturels

La nature est une source d’émerveillement constante, et ce qu’elle produit peut parfois sembler d’une complexité irréelle. Les installations de Sophie Lavaux par exemple, délicates céramiques non émaillées posées sur des miroirs horizontaux, tiennent autant du squelette corallien que du coquillage fossile. Flottant sous les voûtes du château, leur complexe fragilité interroge.

La bibliothèque de verre de Pascal Convert est elle aussi empreinte de mystère. Ces livres de verre, fantômes des livres brûlés de la Princesse de Broglie, sont fabriqués par une « cristallisation à livre perdu » : du verre en fusion est coulé sur le livre et vient prendre sa place, transformant ainsi la matière du livre, mais rendant impossible leur lecture. Les fantômes sont présents, mais leur savoir est hors de portée.

Dans un même mouvement d’expérimentation sur la matière, Léa Barbazanges crée des panneaux de cristaux dont les filaments tiennent à la fois de la glace, des soies végétales et de l’expérience en boîte de Petri. Ses tableaux en pavés de mica, quant à eux, changent de couleur de façon irréelle, uniquement par le déplacement du spectateur. Ici la science s’invite entre art et nature.

L’édition 2020 de la Saison d’art du Domaine de Chaumont-sur-Loire est d’une grande poésie. On y contemple l’éphémère, le fragile et l’intangible avec bonheur, mais n’oublions pas que si cela participe à la beauté de la nature, cela demande aussi qu’on la protège.

Saison d’art du Domaine de Chaumont-sur-Loire, jusqu’au 1er novembre 2020

Visuels : Photos © Eric Sander : Pascal Convert – Makoto Azuma – Marinette Cueco – Giuseppe Penone – Bob Verschueren

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Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

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