
Exposition Boudin à Jacquemart-André : le “roi des ciels” enfin à l’honneur
Après les vedute de Canaletto, le musée Jacquemart-André nous invite à redécouvrir l’œuvre trompeusement répétitive d’Eugène Boudin. Une remise à l’honneur bien méritée, sa dernière grande rétrospective en France datant de 1899.
Toujours sous la houlette d’Hubert Le Gall, les cimaises vert d’eau de l’exposition Canaletto ont cédé la place à des lambris gris pâle, surmontés d’un joli ciel nuageux. Comme souvent au musée Jacquemart-André, l’élégance de la muséographie ne le cède en rien à la qualité du contenu.
Spécialiste du peintre, Laurent Manoeuvre a articulé le parcours de l’exposition autour de plusieurs thèmes visant à replacer l’œuvre dans son contexte de production, et à décliner sa variété. Né à Honfleur en 1824 dans une modeste famille de marins, Eugène Boudin n’était en rien prédestiné à devenir peintre. IL a cependant passé toute son enfance en Normandie, ce qui explique sans doute son amour presque viscéral pour ses ciels nuageux et sa lumière tour à tour cristalline et embuée.
Car bien vite, alors que ses marchands lui commandent de plus en plus de marines, qui l’obligeront à voyager dans le Nord pour les satisfaire, le peintre imaginera un nouveau genre dont il pressentait que ce serait sa gloire posthume : la peinture de plage. Certes, des peintres avaient déjà peint les bords de mer auparavant, mais toujours sous forme d’allégories, ou de pastiches d’époques antérieures. Or ce que Boudin s’attache à décrire, c’est une mutation topographique et sociale qui se produit chaque jour sous ses yeux : la découverte de la baignade et du plein-airisme parmi les classes aisées, le développement de Deauville en étant l’exemple le plus manifeste. Sous l’égide du duc de Morny, le petit village de pêcheurs de quelque cent habitants mue en un lieu de villégiature réservé aux élégantes, doté d’un hippodrome, d’un casino, de belles villas.
Si les points de vue de Boudin choquent par leur volonté délibérée de rendre compte des signes de la modernité – plaçant par exemple un réverbère en plein centre de la composition -, le ciel reste son sujet de prédilection, au point que Corot le surnommera le “roi des ciels”. Seul Baudelaire, si avisé quand il s’agissait de repérer les troubadours de la modernité parmi son entourage, sut y voir le signe d’une grande sensibilité, qui rejaillira d’ailleurs sur ses poèmes.
Une salle s’intéresse particulièrement aux rapports avec Monet ; en effet, avance le commissaire, sans aller jusqu’à dire que Boudin est l’inventeur du principe des séries, qu’il laisse à Monet, il a tenu à montrer combien la détermination de Boudin à fixer l’instant fugitif l’avait amené à développer des variations sur un même thème d’une part, et l’avait par ailleurs pratiquement conduit au bord de l’abstraction d’autre part.
Une exposition fouillée, qui prend le temps de développer plusieurs thèmes secondaires, comme les séjours à la ferme Saint-Siméon, le lien entre la technique du pastel et la peinture, les pèlerinages dans le sud de la France en fin de vie. Un fait significatif d’ailleurs : Boudin a attendu longtemps avant de se rendre à Venise, craignant d’être déçu, mais aussi d’empiéter sur le terrain du peintre quasi officiel des lieux, Félix Ziem. Quand il s’y rend enfin, peu de temps avant sa mort, il réalise que ses craintes étaient doublement infondées. Venise possède bien une lumière unique et inénarrable, qui parviendra à le subjuguer totalement, et d’autre part, il n’a rien à craindre de Ziem : celui-ci s’est contenté de “rêver” Venise selon lui, quand il préfère, envers et contre tout, peindre ce qu’il voit, dussé-t-il camper un cargo devant le palais des Doges. Cela ne fait aucun doute, Eugène Boudin est bien un précurseur des impressionnistes.
Crédits photographiques :
Plage aux environs de Trouville, 1864 (en une) © 2012AGO
La Plage de Berck (Pas-de-Calais), 1877 © photo C. Devlesschauwer
Navires dans le port d’Honfleur, 1865 © 2013 Museum of Fine Arts Boston
Venise. Le quai des Esclavons le soir, la Douane et la Salute, 1895 © MNBAQ, photo Patrick Altman