Arts

Cézanne : un tardif maître de la modernité

27 August 2009 | PAR Mikaël Faujour

C’est une belle monographie qu’a consacré Hajo Düchting au plus célèbre des peintres provençaux, Paul Cézanne. Abondamment illustrée et nourrie de nombreux éléments biographiques et contextuels, elle constitue une introduction idéale à l’œuvre de ce maître de la modernité.

Enfant de la Provence, ami d’adolescence d’Emile Zola, Cézanne est un des plus passionnants artistes de la fin du XIXe siècle. Passionnant d’opiniâtre patience, d’abnégation ; passionnant surtout par son évolution intellectuelle et celle des formulations picturales successives qu’il lui a données, jusqu’à son tardif et total épanouissement.

Socialement inadapté, bourru, Cézanne est un homme de contraste. Il est d’une part cet esprit très cultivé et sagace, d’abord profondément estimé par son ami Zola, que révolte son apathie et l’inaboutissement de ce qu’il tient déjà pour du génie. Et d’autre part, il est cet individu affligé d’une « peur panique du contact physique », dont l’extrême timidité jaillit dans ses manières frustes.

Misère sentimentale, vie sociale décevante, mélancolie féroce de l’exilé à Paris, Cézanne tâtonne dans son art. Compagnon de route des impressionnistes, il n’est guère convaincu par leur programme esthétique et demeure en marge. Moqué par les uns, reconnu par personne, il voit son amitié se distendre avec Zola jusqu’à une séparation brutale, après la parution de « L’œuvre », dans lequel le romancier caricature un peintre raté… dans lequel Cézanne se reconnaît… Épanoui ni dans sa vie sentimentale ni dans sa vie sensuelle ni dans sa vie familiale et si peu dans sa vie amicale, Cézanne étouffe. La langue dévastée des kékés le qualifierait aujourd’hui de « loser ».

C’est que l’éclosion est lente pour Cézanne. Et il faut attendre la quarantaine pour que, avec l’amitié de Pissarro, doyen du groupe impressionniste, il parvienne à fixer les prémices d’un art nouveau, qui sortira de l’impasse impressionniste. Fixé définitivement dans sa Provence natale, il développera et approfondira dès lors avec patience un art solide qui aura un impact capital sur la modernité.

Mélancolique hanté par le souvenir d’un âge d’or révolu, homme peu spontané, « bloqué » intérieurement, il ne pouvait s’accommoder du programme impressionniste célébrant la beauté et le bonheur dans l’évanescence de l’instant. Ce jaillissement de Monet ou Renoir n’étaient pas pour lui. Emblématique de son époque, notamment par le conflit interne qui le déchire entre sensualité – traumatisante car inassouvie – et spiritualité, il trouvera le salut pour lui-même et surtout pour son art, dans la recherche d’une stabilité, d’une permanence. Il formulera ainsi, en le « solidifiant », le dépassement de l’impressionnisme. Les années passant, son art prendra la teinte mystique d’une âme aspirant à un immuable qui transcende l’évanescence et l’angoisse du temps qui passe. « Je suis trop faible (…). Seule l’église peut me protéger », dira-t-il d’ailleurs.

C’est que Cézanne cherche dans son art la solidité qui dans la vie lui manque, une profondeur et un sens par-delà les apparences. Ce en quoi son art influence Gauguin et les Nabis autant qu’il a à voir avec le Symbolisme.

C’est avec son œuvre le plus tardif (les paysages provençaux et singulièrement la série de la montagne Sainte-Victoire ; mais aussi ses natures mortes qui s’affranchissent nettement de règles traditionnelles, notamment le point de vue unique, annonçant en ceci le cubisme) qu’il atteint, la cinquantaine passée, le pinacle de son art, avec des compositions solides, géométriques, révélant un coloriste unique et qui marquera les artistes ultérieurs.

Avec cette monographie, Taschen propose une introduction parfaite à l’œuvre du farouche Provençal. Richement éclairée par les éléments biographiques et le contexte historique et intellectuel, elle permet d’envisager l’œuvre de Cézanne dans sa profondeur, au-delà d’une simple œuvre de « paysagiste » ou de peintre de natures mortes.

« Paul Cézanne », Hajo Düchting, éd. Taschen, 2009, 9, 99€.

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Mikaël Faujour

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