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Frédéric Roels : “La préservation des œuvres dans une perspective muséale ne m’intéresse pas”

Frédéric Roels : “La préservation des œuvres dans une perspective muséale ne m’intéresse pas”

15 September 2020 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Le metteur en scène et dramaturge Frédéric Roels vient de succéder à Pierre Guiral en poste depuis 2014. Il est le nouveau directeur de l’Opéra d’Avignon. Rencontre.

Tout d’abord, félicitations ! Vous prenez votre poste le 1 septembre et vous êtes face à un grand chantier ! Est-ce grisant d’arriver à la fin des travaux ?

Evidemment ! La rénovation en profondeur du bâtiment construit en 1848 témoigne d’une ouverture vers l’avenir qui est respectueuse du passé. C’est l’exact reflet de ce en quoi je crois artistiquement : la créativité, l’invention permanente, en lien avec des œuvres musicales qui ont été composées au cours des quatre précédents siècles et qui gardent leur actualité. Pour les spectateurs comme pour les artistes, cette rénovation est un cadeau merveilleux : les conditions techniques et le confort d’écoute du théâtre seront optimaux.

Que va devenir Confluence ?

Ce bâtiment provisoire est un des exemples les plus réussis, parmi ceux que j’ai vus, d’une solution pour présenter une programmation d’opéra pendant un long chantier. C’est un bâtiment simple, pratique et chaleureux qui peut accueillir huit cents spectateurs. Sa vocation est de poursuivre cette mission ailleurs. Il sera démonté et revendu.

D’ailleurs, vous n’êtes pas le seul à avoir été nommé, Debora Waldman commence également sa direction de l’Orchestre. Quelles sont les relations entre l’Orchestre et l’Opéra ?

Je connais Debora depuis longtemps car je l’avais déjà invitée plusieurs fois à Rouen. Nous avons en commun beaucoup d’affinités artistiques, ainsi qu’une vision du rôle de la musique dans la société, de son côté fédérateur au-delà des différences sociales, d’âge ou de culture. Nous partageons l’idée que le travail en direction de la jeunesse et des familles est une priorité. L’Orchestre Régional Avignon Provence et l’Opéra Grand Avignon sont des entités qui ont leur autonomie, mais qui sont liées par une convention de partenariat : l’Opéra accueille la saison symphonique de l’Orchestre, et l’Orchestre est mis à disposition pour les représentations lyriques et chorégraphiques. Notre complicité est une nécessité.

Vous avez un regard très affûté, vous avez été directeur artistique et général de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie puis directeur des opérations artistiques au Royal Opera House de Mascate. Alors, dirige-t-on différemment en fonction de là où l’on se trouve ?

Les arts vivants se définissent à partir d’une relation entre des artistes et des spectateurs, qui n’existe que dans un espace et un temps déterminés. Chaque représentation est unique. Alors oui, une ville différente, un contexte social ou économique différent, et les années qui passent induisent une programmation qui se réinvente à chaque fois. Ceci dit, il y a évidemment des valeurs et des tendances esthétiques qui traversent les différentes missions qui me sont confiées. Mais je tiens beaucoup à vivre les choses dans la rencontre, avec le public, avec l’équipe de l’Opéra, avec les artistes, avec les partenaires, et de me laisser porter par les énergies diverses pour me renouveler dans chaque endroit.

Vous avez un regard très contemporain sur les œuvres, et cela m’enchante ! Quelles directions souhaitez-vous donner à l’Opéra Grand Avignon ?

La musique, l’opéra, la danse n’ont de sens que s’ils sont interprétés aujourd’hui, pour un public d’aujourd’hui. La préservation des œuvres dans une perspective muséale ne m’intéresse pas. Il faut renouveler le répertoire, amener le public à découvrir des choses nouvelles – y compris de grandes œuvres du répertoire qui n’ont été que rarement jouées ici. La création d’œuvres nouvelles d’opéra ou de danse est une dimension importante, qui doit s’accompagner d’une invitation lancée au public à suivre le parcours de création pour comprendre la démarche du compositeur, du chorégraphe, du metteur en scène. Ceci passera par des résidences d’artistes dans différentes disciplines. Il faut concevoir le processus de création comme un chemin qui s’inscrit dans une certaine durée, et dans lequel les populations locales, les publics ont leur place. L’Opéra a aussi cette chance de disposer de deux lieux complémentaires : l’Opéra historique au centre-ville, et L’Autre Scène à Vedène, qui est une salle de 400 places dans une configuration plus moderne. C’est un lieu alternatif, qui offre un beau plateau pour des formes allant du théâtre musical aux musiques actuelles ou musiques du monde, ainsi que pour des spectacles familiaux.

Avez-vous la possibilité d’ouvrir vers l’international ?

C’est une étape importante qu’il faut franchir. Avignon était, au XIVème siècle, la capitale de la chrétienté. Depuis Jean Vilar, elle est une référence mondiale pour le monde théâtral. L’Opéra doit lui aussi s’inscrire dans une dynamique internationale, à l’échelle européenne pour les partenariats et au-delà même, avec une programmation qui donne une fenêtre aux cultures extra-européennes. Ceci sans prétention, dans la mesure des moyens limités qui sont les siens, mais avec une ouverture d’esprit qui regarde au-delà du territoire français. Cela prendra un peu de temps, mais tout le monde va y gagner.

Qu’est-ce que l’épidémie change pour vous ? Comment percevez-vous la saison dans ce contexte ?

On a beaucoup parlé de l’impact économique de la pandémie sur les structures culturelles et de la catastrophe sociale que cela constitue pour les artistes. Nous avons la chance, en France, d’avoir un gouvernement sensible à ces questions et qui a beaucoup fait pour limiter les dégâts. Au-delà de ces questions cruciales, il en est une plus fondamentale encore. Les arts du spectacle sont par essence basés sur l’émotion de la rencontre physique entre des chanteurs, des danseurs, des acteurs, des musiciens et des spectateurs. Le fait de respirer ensemble le même air, de ressentir la présence du corps dans sa proximité est inhérent à ces formes artistiques. Les gestes barrières que nous impose la présence du virus, et le port du masque, agissent exactement à contrario de cela. C’est une inquiétude forte qui m’agite à ce sujet : quelque chose de sacré a été brisé. C’est vrai aussi dans la vie quotidienne en-dehors du théâtre : les rapports sociaux sont devenus plus fonctionnels, ne laissent plus de place à la perception de l’expression du visage et à l’élan affectif entre les êtres humains qui voudrait nous pousser au contact du corps, à l’étreinte. J’espère que ce n’est qu’une parenthèse et qu’elle sera vite refermée, car quelque chose de l’essence de l’humain est en train de disparaître.

Et pour finir, quelle sera votre première création pour l’Opéra Grand Avignon ?

Ma part de programmation commence en janvier 2021, ce qui coïncide avec la réouverture du théâtre historique. Nous allons y donner une nouvelle production du Chevalier à la Rose de Richard Strauss, un opéra sublime qui n’a jamais, à ma connaissance, été joué à Avignon. C’est une coproduction avec le Théâtre de Trèves en Allemagne. Comme metteur en scène, je serai aussi présent dans la programmation avec un spectacle par an. Pour cette première saison, ce sera Don Giovanni de Mozart. Une œuvre centrifuge, où le personnage central échappe à tous les codes, à toutes les époques. Et Debora Waldman dirigera l’orchestre. Cette collaboration entre nous est un symbole de la page nouvelle qui s’ouvre.

 

 

Visuel : ©Florence de Meyer

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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