
“Depois do silêncio”, par Jatahy : fiction implosive et forces violentes du monde
La nouvelle œuvre théâtrale de Christiane Jatahy se joue jusqu’au 16 décembre au CENTQUATRE-PARIS, en partenariat avec le Théâtre de l’Odéon. Cette pièce coup-de-poing incarne une série de surprises, un tremblement de terre, indescriptible, constant, total, bouillonnant, et définitivement magnétique.
Genres en ébullition
Ici, c’est d’abord un temps où le texte et l’image coexistent, par la présence fidèle de la langue : le portugais est surtitré en français, sur la toile-écran de fond. On comprend d’office que l’hybridité des genres est à l’œuvre et se joue de nous, sous nos yeux. Cet ensemble à l’apparence théâtrale mêle autant la conférence (par la jeune protagoniste dont le ton s’élève sur un bureau, en début de pièce), que le cinéma – par des fragments d’images documentaires frappantes -, la musique in situ (par de mystérieux, mystiques bruits-miroir de la nature, des instruments traditionnels), et, en apogée, la danse (par la reprise du jarez) … Les personnages ont beau interagir scéniquement, leur personnalité existe beaucoup seule, dans leur monde, dans leur passé complexe. Ces derniers délivrent des discours profonds, douloureux, sur leurs terres dérobées, sur leur identité niée. Et contrairement à cette grande histoire complexe, la réalisatrice prend le parti d’une scénographie minimaliste, dénuée d’artifices.
Les corps deviennent alors les instruments vitaux pour transgresser les genres. Ils se postent sur scène pour véhiculer une tragédie violente, sans once de bienséance ni d’harmonie académique. Comme dans d’autres pièces de Christiane Jatahy, la fiction est très souvent remise en question. Nous entrons dans un troisième espace, entre réel et fiction. Pour preuve, plusieurs moments-clin d’œil vont interpeller le public, voire l’équipe musicale. La place du spectateur-voyeur est remise en cause, tantôt complice et oppressante, tantôt une alliée de la tragédie.
Tremblements vivants, vitaux
Depois do silêncio rend compte d’une volonté : celle de représenter un monde pur, où la violence humaine se joue sans se justifier. La brutalité des actes barbares du passé est retranscrite par les silences ou les cris. L’idée est de montrer le racisme compris dans une structure, un système trop souvent bafoué, ignoré, au sein des communautés rurales du Brésil. L’intrigue prend appui sur la ville de Bahia, au Nord-est du pays. Les paroles résonnent encore, car les trois personnages féminins descendent de l’esclavage.
Pour toucher et frapper les esprits, de multiples imaginaires sont mis en place pour dynamiser la pièce : celui de la terre, de la nature, de l’entre-soi, des ancêtres, des origines flamboyantes, des questions d’appartenance. En contre-poids, la pièce démontre que cette richesse socio-culturelle a été trop souvent fracturée par l’instinct destructeur des colons. La jeunesse flirte avec la lumière, par sa force de parole trop souvent rendue muette. Des personnages externes à la scène s’expriment, donnant au propos une dimension polyphonique.
Cette création provoque et laisse en nous de nombreux états : de la stupeur, de la décontenance, de la gêne parfois, mais surtout un profond désir de justice. Depois do silêncio n’en reste pas moins hypnotique. Comme un souvenir commun de révolte.
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Image de couverture : Théâtre de l’Odéon © Christophe Raynaud de Lage