Danse
Sonoma, le clair-obscur surréaliste de Marcos Morau au Festival d’Avignon

Sonoma, le clair-obscur surréaliste de Marcos Morau au Festival d’Avignon

22 July 2021 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Depuis le premier jour du Festival d’Avignon, nous étions en attente d’une pièce de danse écrite, singulière, et à la dramaturgie pensée. Le chorégraphe espagnol signe pour la Cour d’honneur un conte onirique et fantastique aux corps possédés par le diable (ou dieu, mais n’est-ce pas la même chose ?).

Cauchemar

Tout commence comme dans un cauchemar. Des femmes, telles des poupées traditionnelles, longue robe rigide, le buste serré et les bras le long du corps, collés, avancent à toute vitesse, elles semblent être sur patins à roulettes et on l’apprendra, elles ne le sont pas. La technique de marche rapide est poussée à son paroxysme. Et ces filles vont se mettre, comme si elles s’attaquaient au cadavre de leur amant, à dépiauter les cordes qui enserrent une croix posée au sol. Elles psalmodient : “Bienheureux celui qui…” 

Sur scène, quelques grands panneaux blancs sont posés sur le plateau, et le mur de la Cour est lui nu. 

Fragmentation

Dans sa note d’intention Morau convoque Buñuel, non pas pour adapter l’un de ses films mais pour être avec lui dans son approche surréaliste et saccadée de l’image. Quand nous découvrons le travail de Marcos Morau nous sommes en 2016, et alors nous entrons dans sa grammaire très particulière. C’était pour Le Surréalisme au service de la Révolution. Mais, il y a cinq ans, le fond ne suivait pas la forme.  Morau se place donc du côté des chorégraphes surréalistes, comme Cindy Van Acker. Il sait parfaitement convoquer des images qui subjuguent.

De l’enfermement à la liberté, de la religion à son bannissement, Alba Barral, Ángela Boix, Julia Cambra, Laia Duran, Ariadna Montfort, Núria Navarra, Lorena Nogal, Marina Rodríguez, et Sau-Ching Wong avancent comme une horde qui parfois grouille.

Son écriture est comme dans le wacking, faite de saccades au rythme haletant. On ne respire pas ici, il n’y pas d’espace ici, car il faut fuir les esprits. Elles sont des sorcières, premières féministes et elles comptent bien en découdre dans des lignes où si l’une tombe tout foire.

Obsession

C’est une danse obsessionnelle qui ne séduira pas les amoureux des lignes douces. Le climax se tient dans un tableau noir où elles évoluent le visage masqué. Les silhouettes sont des actrices de cette pièce. Des chapeaux plats, des petites chaussettes blanches, plus tard des fleurs plus bohèmes. 

Contrairement à Lamenta où la danse traditionnelle était convoquée de façon littérale, dans Sonoma, elle est invitée par des symboles pour la rendre moderne. Des grands tambours sont martelés comme les pieds qui enfin tapent le sol après l’avoir survolé tant de minutes.

Elles sont des femmes puissantes elles disent “nous sommes celles qui ramèneront les morts à la vie”, des choses comme ça. Les textes sont de El Conde de Torrefiel, La Trisura et Camina S. Belda. Mais le texte est un mouvement comme un autre, qu’elles tambourinent de la voix. 

Cinq ans plus tard, la forme avale le fond, Buñuel est un prétexte pour Morau qui s’autorise à jouer avec le ciel. D’ailleurs, il nous faut le remercier, car il a fallu qu’il projette de la lumière sur les fenêtres du mur pour que l’on réalise (enfin !) que leur structure était en forme de croix religieuse. C’est assez brillant pour lui de l’avoir vu et de le montrer.

Dans la cour, pour survivre il faut créer de grandes images, et à ce jeu, Morau excelle, en s’amusant avec les jeux d’ombres, toujours spectaculaires. Il s’amuse tout le temps en fait, car les déhanchés chaloupés et augmentés des danseuses ne laissent aucun doute sur les libertés prise avec la grammaire traditionnelle. Il y a des gestes qui restent, comme cette danseuse qui nous fait signe de nous taire et toujours cette volonté de fractionner tous les temps et de les danser. 

La pièce divise, nous on fond. Et on vous conseille fortement d’entrer dans ce bal mystique.

Jusqu’au 25 juillet dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, à 22 heures. Durée 1h15. 

Puis à Chaillot du 20 au 28 janvier.

Visuel : © Alex Font

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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