
Algérie aujourd’hui sur les planches de théâtre
Est-ce que l’Algérie est un sujet théâtral ? Est-ce un sujet que les artistes français et algériens décident de porter ? Plusieurs spectacles nous font penser, une fois supplémentaire, que la culture est en avance sur le politique, portant une parole parfois dérangeante aux conséquences lourdes.
Les chemins de la mémoire
Festival D’Avignon. Laurent Hatat s’empare du texte d’Aziz Chouaki, Les Oranges, pour une traversée à la fois personnelle et engagée de l’histoire de l’Algérie, empreinte d’une émotion à partager. L’histoire est celle d’un homme (Azeddine Benamara) qui prend le soleil du matin, il est LA grande histoire par le prisme d’un mec bien d’Alger. Il se met à raconter, les odeurs de jasmin, le café où les potes jouent aux cartes. En résonance à ses propos, une femme chante (Mounya Boudiaf). Le comédien brillant et la chanteuse à la voix cristalline attrapent les spectateurs à la première seconde. Cette histoire là, qui croise l’histoire de France pendant 132 ans, en appelle à la mémoire de chacun.
Mémoire et Histoire, deux visages d’une même personne, ici un peuple. Nous voilà partis à travers les temps. Pour la mémoire de la guerre, celle dont le nom est camouflé, comme la fille le souligne d’une invective : « La quoi ? ». Il dit : « il faut d’abord qu’on s’occupe de Vichy d’accord, on fait la queue ! »
C’est bien cela la question, qui est responsable de la déchéance, de cette mémoire blessée ? L’identité française a marqué les esprits, les langues se mélangent, un mot en arabe, un mot en français. Pendant les guerres mondiales, les Algériens partagent les mêmes tranchées et les même morts L’indépendance acquise, Boumédiène puis le FIS enchaînent viols et exactions dans un islam plus que radical au « ras du Coran ». La pièce dénonce la tiers-mondisation de l’Algérie, la perte de repères. Aziz Chouaki, qui réside en France depuis 1991 ose un texte non consensuel.
Festival d’Avignon, là, l’ambiance est plus consensuelle pour une pièce qui fait un carton par son aspect assez festif empruntant au rythme d’un thriller télévisé. Le porteur d’histoire a la mérite de situer la première en scène en Algérie hors de tout contexte tragique. On est ici dans l’épopée la plus classique. Deux femmes disparaissent à Mechta Layadat. On croit d’abord à un fait divers avant de saisir ce qu’il va se passer devant nos yeux et sans relâche : une troupe de cinq comédiens, Amaury De Crayencour, Evelyne El Gabby Klai, Magali Genoud, Eric Herson-Macarel et Régis Vallée vont incarner, de Marie Antoinette à Alexandre Dumas, 34 personnages. Ce qui se déroule est l’histoire d’une famille mythique, celle des Saxe de Bourville, royalistes guillotinés, selon la légende, à moins que tout cela soit vrai, et qu’une héritière vive au XXIe siècle.
L’Algérie et les femmes
Les oranges est un texte monté régulièrement…en France et sans encombre. Ce n’est pas le cas de A mon âge, je me cache encore pour fumer.

La pièce de Rayhana lui a valu une agression et des menaces. La cause ? Dénoncer la façon dont les femmes sont considérées en Algérie. Sa pièce retrace les destins de 9 femmes qui ensemble forment un portrait culturel et politique de l’Algérie, où, au pays du miel, être trop mince condamne Samia, la comédienne époustouflante de rire, Linda Chaïb à finir vieille fille, Louisa (Catherine Giron) est stérile dans un pays où la maternité est un culte, Nadia (Rébecca Finet) est divorcée dans un pays où le mariage est posé comme le but d’une vie, et où une jeune femme Zaya (Géraldine Azouélos) choisit de se voiler intégralement pour protéger ses enfants. Il y a aussi Aicha, mariée à 10 ans et heureuse d’avoir été infidèle.
Le 16 janvier 2010, l’auteur est aspergée d’essence. Ses agresseurs jettent une cigarette allumée, ce qui ne laisse aucun doute sur le fait que cette agression était une tentative d’homicide. Une manifestation est organisée. Bertrand Delanoë avait dénoncé «ce terrible évènement, qui semble trouver son origine dans le sujet même de ce spectacle».
Mais rions plutôt !
Jusqu’au 10 novembre, Fellag met en scène ce “Le premier cooking-show” à l’occasion de son nouveau spectacle, «Petits chocs de civilisations». Tous les soirs depuis le 11 septembre (timing ô combien symbolique), au théâtre du Rond-point des Champs Elysées. Dans une interview qu’il nous a accordé il raconte son objectif: “Jouer sur les petites peurs, les petits chocs quotidiens, tout ce qui reste au niveau de l’humain, pour mieux conjurer le grand choc annoncé. Voir notre interview.
On le voit, l’Algérie ne se présente qu’à de rares exceptions légères sur scène, venant ainsi pointer les enjeux de mémoire, la misogynie organisée où les stéréotypes qui par définition ne sont jamais bienveillants.