Beauté
Un sexe comme je le veux !

Un sexe comme je le veux !

11 July 2014 | PAR Pulcherry Von Ober

²²²²²²²²²²²²²²²²²La chirurgie esthétique sculpte les corps depuis de nombreuses années, et voilà qu’elle se lance à l’assaut du sexe féminin… Cette fente rose ? Ce sexe transformé en un standard ? Ou encore un sexe « organe » ? Pourquoi la nymphoplastie connaît-elle un tel engouement ? En effet, on note une demande exponentielle notamment aux Etats-Unis et en Australie. D’ailleurs, une australienne, Michelle a voulu réagir et a créé le site LargeLabia*. Son objectif : montrer et démontrer que le vagin normal n’existe pas ! Depuis, toutes les femmes sont invitées à poster des photos de leur sexe. Un hymne à la vulve dite « normale » y est enchanté pour contrer l’appétit croissant de la chirurgie labiale.

Cependant, aujourd’hui, quel est le véritable regard que les femmes portent sur leur sexe ?
Est-ce lié à la sexualité ? Quelle est la représentation du corps féminin dans notre société ? Peut-on parler d’hypersexualisation de notre société ?

Chronique d’une plastie presque annoncée …

Rencontre avec

Sophie BERVILLE LEVY ( SBL)
Gynecologue Obstétricien, chirurgie de la Vulve
Hopital Tarnier Cochin, service de dermatologie

Sara PIAZZA, (SP)
Psychologue clinicienne,
Attachée Temporaire Enseignement et Recherche, Universite? Paris Diderot, Sorbonne Paris Cite?, CRPMS, EA 3522, 75013, Paris, France.

Michelle (M), 30 ans, australienne, féministe, activiste, fondatrice du site LargeLabia. http://largelabiaproject.info/.

Qu’est-ce que la nymphoplastie ?

SBL C’est la réduction de la taille des petites lèvres afin qu’elles soient contenues entre les grandes lèvres et ne dépassent plus de la fente vulvaire en position debout.

Existe-t-il un standard des organes génitaux ?

vuvleSBL Non, il n’y a pas de norme anatomique ni médicale d’ailleurs. (cf The Great Wall of Vagina du plasticien Jamie Mc Cartney) , mais il apparaît sur internet un « gold standard » de la vulve qui correspondrait à l’anatomie d’une vulve infantile, avant la puberté.

SP Ce « gold standard » de la vulve serait le modèle que l’on présente aujourd’hui comme la « norme ».
En ce qui me concerne, j’écrirais qu’il n’y a pas de norme de sexe féminin du point de vue physiologique mais une norme sociale qui ne correspond pas à la diversité du sexe féminin.
Par exemple, les statistiques montrent qu’entre 25 et 33 % des femmes ont des petites lèvres qui dépassent la norme vulvaire.

Aujourd’hui, quelle est la représentation de la femme, de son corps dans notre société ? Comment l’expliquez-vous ? Et quelles en sont, en seront les implications ?

SP
Bien sûr aujourd’hui, on pourrait penser que ce fameux « gold standard » est une norme contemporaine, mais en fait, elle existait déjà. Prenez comme exemple Ambroise PARE
, chirurgien et anatomiste du 16ème siècle, il évoquait à l’époque la nymphectomie. Le mot comporte d’ailleurs une connotation violente, contrairement au terme nymphoplastie. Mais savez-vous que cette opération était imposée aux femmes pour des raisons médicales, religieuses ? En effet, avoir des lèvres trop visibles témoignait, selon les croyances de l’époque, de conduites sexuelles déviantes, ou d’un risque de développer ces conduites. D’ailleurs, on peut s’interroger quant au lien entre sexe-organe et sexe-genre : le sexe féminin doit demeurer discret, parce que le féminin doit être caché, invisible, réservé et de ce fait, on retrouve cette représentation sur l’organe sexuel.
Je fais un aparté sur l’épilation. Aujourd’hui la tendance est à l’épilation intégrale du maillot. Avant, le sexe était caché par les poils, maintenant, le sexe est exhibé, on a ôté les poils, le sexe est donc rendu visible, « trop visible », donc on en enlève avec la nymphoplastie.

La femme doit être mince, disponible sexuellement et la subalterne de l’homme. Voilà ce que diffusent les médias.Pour résumer, la représentation de la féminité faite par notre société moderne implique une certaine pression sur les femmes pour se conformer à des attentes irréalistes

Peut-on relier l’apparence physique des organes génitaux d’une femme à son caractère ? Par exemple, est-ce qu’une femme qui a un beau sexe (qui correspond à ce que la société fixe comme norme pour un beau sexe) sera plus encline à l‘acte sexuel qu’une femme qui a un sexe moins beau ?

SP Il n’y a pas d’objectivité de la femme, du regard qu’elle porte sur son sexe. On pourrait dire que FLEUREPILle rapport de la femme à la sexualité, au sexuel, détermine le regard que la femme porte sur son sexe. Si elle est épanouie alors, oui, la femme peut trouver son sexe beau, ou alors simplement être en accord avec celui-ci.

M Bien sûr ! Les femmes qui sont mal à l’aise avec leur intimité, l’apparence de leur sexe, sont moins enclines à avoir des relations sexuelles par crainte d’être jugées ou encore ridiculisées par leur partenaire sexuel. Souvent, elles se sentent gênées ou encore honteuses de leur apparence, ce qui les empêche de vivre une vie sexuelle sereine.

La nymphoplastie étant liée à la sexualité, comment définiriez-vous la sexualité ? Peut-on parler d’hypersexualisation de notre société ?

SP Non, je ne dirais pas que la nymphoplastie est liée à la sexualité. Ce qui intéresse les patientes qui optent pour cet acte, ce n’est pas pour une meilleure sexualité, mais c’est ce que représente le sexe-organe pour elles. Pour moi, c’est une question d’image, pas de ressenti. Bien sûr que si les femmes ont une image dévalorisée de leur sexe, il peut y avoir une implication sur leur sexualité.
J’ajoute que le regard de l’homme n’intervient, la plupart du temps, à aucun moment. La nymphoplastie concerne le féminin, le sexuel, et parfois le maternel. Lors des entretiens de recherches que j’ai réalisés avec des patientes par exemple, soit leur compagnon s’en moquait, soit ce qui importait à l’homme c’est qu’il puisse avoir du désir, et du plaisir avec sa partenaire, que les lèvres soient petites ou non…cela ne les préoccupait absolument pas.

Et puis, en ce qui concerne l’hypersexualisation, on pourrait penser à un mouvement de la part des media qui tendent à présenter une sexualité libérée, sans tabous, mais, n’oublions pas, paradoxalement d’autres mouvements contraires de résistances contre certains types de sexualité. Je demeure prudente quand on parle d’hypersexualisation. Je préfère dire que les média ont plus à voir avec une massification des pratiques. Le porno par exemple ne crée pas de nouvelles pratiques ou tendances mais permet de les populariser.

M Beaucoup de femmes optent pour une nymphoplastie plus pour leur partenaire que pour elle-même. Cela est basé sur une idée fausse que des petites lèvres sont plus féminines et plus attractives sexuellement parlant que des lèvres plus grandes. La représentation prédominante de la vulve dans les films pornographiques véhicule et alimente cette conception.

La sexualité apparaît de nos jours comme rattachée à la quête de la performance, du plaisir à tout prix. Y-a-t-il une limite à la quête du plaisir ? A partir de quel moment peut-on dire qu’il y a transgression des limites du sexuellement acceptable?

SP Est-ce que la performance garantit le plaisir ? Le plaisir sexuel devient-il alors un plaisir narcissique qui a à voir avec la performance…Tout dépend des personnes. Quant à la transgression, elle se pose d’une façon complexe, elle se détache de ce qui est moralement acceptable.

Peut-on écrire que le sexe est devenu un objet de consommation, de récréation et donc, est-on aujourd’hui, dans la banalisation de sa consommation ? Quelles sont ses implications ?
SP Oui, on est effectivement dans un mouvement où la question de l’image est de plus en plus au premier plan…jusqu’à toucher le sexe lui-même. On se fait les seins, le visage, et maintenant le sexe. Là, on évoque la question du visible et de l’image.

Sexe plaisir, sexe et désir de plaire…l’amour et le sexe…un mariage en voie de disparition ?

SP On aborde la question de l’attachement. L’être humain doit toujours s’en débrouiller.
Certains esquivent cette question dans la consommation du sexe en tant qu’organe et dans ce cas optent pour une solution radicale, où l’autre est un « intervenant » interchangeable. Mais vous savez, toute solution a un prix. Comment trouver un compromis entre la pulsion sexuelle et les exigences de la société ? Tous essaient de naviguer entre tout cela : les pulsions sexuelles, les aspirations de la personne, les exigences sociales, … On pourrait dire avec Freud que le moi doit satisfaire les exigences du ça, du surmoi et de la réalité. Le sujet doit vraiment se débrouiller avec tout ça.

De nos jours des vulves parfaites, juvéniles (sur le modèle prépubère) s’affichent sur internet dans les videos pornos en libre-service. La valorisation d’un corps éternellement jeune s’est-elle immiscée jusque dans notre sexe ?

BARBIESP Cela correspond à une pure fente rose. Avoir cette image là est une façon d’esquiver le sexuel adulte, avec les complexités que cela recouvre. On prône l’hypersexualisation et en même temps on pousse à faire disparaître ce qui signe le sexuel.

M Cette tendance à des vulves jeunes a bien sûr un impact pour le rajeunissement des lèvres notamment chez les femmes plus âgées ou encore celles qui ont accouché
Le message qu’il s’en dégage est simple : les vulves qui ont une apparence plus jeunes sont beaucoup plus désirables. Ceci impacte l’estime qu’ont les femmes d’elles-mêmes et leurs relations intimes et sexuelles s’en trouvent affectées…infectées.

Quels d’impacts peuvent générer…ces croissantes demandes pour la nymphoplastie d’esthétique pour notre société ? La nymphoplastie esthétique présente-t-elle le « risque » que le sexe idéal devienne le sexe normal ?

SP Le risque, oui, c’est qu’il y ait une standardisation du sexe féminin.

M La nymphoplastie est l’acte chirurgical qui a connu une plus forte croissance en termes de demande durant les dernières années. L’augmentation de nymphoplastie pour des raisons esthétiques présente le risque de changer la perception de notre société sur ce qui est normal et acceptable.

Une médicalisation de la beauté des organes génitaux : une hérésie, une source de pathologie ou un réel bien être apporté à la femme…ou à l’homme ? Pourquoi ?

SP Pour répondre à cette question, je reprendrais l’étude que j’ai effectuée lors de ma thèse sur la nymphoplastie. On a constaté que le taux de satisfaction des patientes est de 98 % Les patientes, de façon individuelle, témoignent de leur satisfaction. Mais nous ne sommes qu’à un an après l’opération. Qu’en sera-t-il dans 5, 10 ou 15 ans pour les plus jeunes ? Toujours est-il qu’on peut dire que globalement les patientes sont contentes. Vous parlez de « bien être », je pense plutôt les choses en terme de « solution ». Elles ont trouvé une solution. Mais le problème est plus vaste et devient un problème éthique quand la dimension individuelle rencontre la dimension collective. Ce qui, au niveau individuel apporte une satisfaction, au niveau collectif participe à la création d’un sexe uniformisé, standardisé, qui véhicule une idée de norme du sexe féminin.

M Une modification physique de nos parties génitales pour se conformer à une fausse croyance de la normalité est certainement malsaine. Cela affecte des millions de femmes et d’hommes quant à l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes, et engendrent une demande pour de la chirurgie esthétique inutile.

En France la nymphoplastie est remboursée par la Sécurité Sociale. Pensez-vous que c’est un avantage pour les femmes ?

M Toutes les nymphoplasties ne sont pas négatives, il ne faut pas exagérer non plus. Parfois, il existe des raisons médicales recevables, comme par exemple une femme dont les lèvres trop grandes peuvent l’empêcher de mener une vie normale. Pour des interventions de nymphoplastie qui se révèlent nécessaires pour raisons médicales, il est important que cela soit remboursé par la Sécurité Sociale. Cependant, il y a danger lorsque cela encourage les femmes à effectuer cet acte uniquement pour des raisons esthétiques.

Quels conseils donneriez-vous à une femme qui souhaite réaliser une nymphoplastie ?

M D’abord, avez-vous une idée exacte, précise de ce que vous imaginez être une vulve normale ? En effet, il en existe une grande diversité de par le monde, et cette diversité est considérée comme normale !
Est-ce pour des raisons médicales, ou est-ce une volonté guidée par ce que vous pensez être considéré comme normale et beau ?
La perception de la beauté dépend de changements de culture, donc il est important de bien réfléchir avant toute opération.

A l’heure du prêt à porter, du presque prêt à penser, la standardisation du sexe…n’aura peut-être pas lieu…Donc demain : pas de sexe…à porter, rapporté ? Mais qu’en est-il d’après -demain ?
Mesdames, chaussez vos lunettes et votre bon sens, cultivez votre jolie fleur comme une jardinière, certes amante, mais surtout aimante, soignez-là avec raison et bienveillance. Ne jetez pas en son pistil des pensées sauvages, ou encore des narcisses pour une conquête du plaisir. Jouissez avec amour ou un jour, nous, les femmes, risquerons de boire le calice jusqu’à la lie.

*1 http://largelabiaproject.info/author/michelle/

Crédit photo : site de Michelle, largelabiaproject, poupées, site aliexpress.com

Allô, Docteur, dites-moi, dois-je faire une nymphoplastie ?
La recette de Claude : sauté de veau paysanne
Pulcherry Von Ober
Un regard posé sur l'esthétique car la beauté donne le ton de l'harmonie. Des papilles constamment en éveil ! http://www.sensetpeau.com/blog/ https://www.instagram.com/leschicsgourmandises/ @leschicsgourmandises

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