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Au Monfort, « Parade » et « Nos limites » fusionnent, tout comme les corps

Au Monfort, « Parade » et « Nos limites » fusionnent, tout comme les corps

24 March 2014 | PAR Mathilde Le Quellec

Dans le cadre du festival (Des)illusions, dans la petite salle bondée du théâtre Monfort, on assiste à la projection du long-métrage d’Olivier Meyrou, Parade, sélectionné pour la Berlinale 2013. Le film est une introduction au spectacle qui suit, interprété, cette fois, par des artistes en chair et en os, Mathias Pilet et Alexandre Fournier, sous la supervision du chorégraphe Radhouane El Meddeb. Chorégraphie de portés acrobatiques, ce spectacle s’intitule Nos limites. Un peu long à démarrer, et doté d’une symbolique qui ne parle pas toujours au spectateur, il n’en reste pas moins un hommage poignant au handicap, et à Fabrice Champion.   

Parade, documentaire tout en retenue, raconte l’histoire de Fabrice Champion, ancien trapéziste de la compagnie des Arts Sauts victime d’un accident lors d’une répétition. Pendant de nombreuses années, le réalisateur Olivier Meyrou l’a suivi dans son intimité, caméra à l’épaule, tout au long de sa laborieuse et éprouvante rééducation, et pendant ses émouvantes séances de répétition à trois avec Mathias Pilet et Alexandre Fournier, anciens étudiants de l’ENACR (École Nationale des Arts du Cirque de Rosny-sous-Bois). Ensemble, ils préparaient une chorégraphie sur le thème de la « tétradanse », une idée expérimentale de Fabrice, qui rêvait de remonter sur scène malgré son handicap. Pourquoi, alors, ne pas intégrer sa tétraplégie à des portés acrobatiques, aidés de deux partenaires en qui il a toute confiance ? L’idée fait mouche et Mathias et Alexandre se lancent avec lui dans l’aventure.

Poupée de chiffon aux mains de ses deux compagnons, Fabrice, manipulé en tous sens, soulevé, roulé, déplacé, redevient un petit enfant qui doit s’en remettre totalement à ses parents : ici, ce sont ses partenaires. De ce rapport de confiance est né un trio fusionnel et fraternel.

Le film montre le handicap tel qu’il est, avec dignité, sans cacher ses laideurs. La métamorphose physique de Fabrice plusieurs années après son accident est frappante et met mal à l’aise. Mais le réalisateur évite le pathos. La réalisation est sobre et pudique ; la musique, presque absente ; la douleur de Fabrice, sourde, contenue. On peut s’interroger sur le degré de spontanéité de l’ancien trapéziste, qui joue dans Parade son propre rôle : parvenait-il à oublier totalement la caméra ? Retenait-il son émotion parce qu’il se savait filmé ? Ou, à l’inverse, le réalisateur a-t-il fait le choix d’écarter les plans où cette douleur éclatait ? Si la suggestion de la souffrance peut donner de la force au documentaire, elle a aussi tendance à en diminuer l’authenticité. Beaucoup d’étapes de la rééducation sont éludées, et c’est dommage. On ne voit pas toute la peine, tous les efforts physiques, toute la frustration qu’elle a pu occasionner.

« Fabrice était spontanément attiré par les expériences nouvelles », nous dit Olivier Meyrou. Après son décès, au Pérou, des suites d’un rite chamane qui a mal tourné, Mathias Pilet et Alexandre Fournier décident de poursuivre leur projet en le concrétisant sous le regard du chorégraphe Radhouane El Meddeb. De là est né Nos limites : c’est la renaissance de Fabrice Champion, dont Alexandre et Mathias sont les messagers bienveillants. La parole est redonnée à leur ami tétraplégique, dans la peau duquel ils se mettent avec beaucoup de réalisme, grâce à ces deux années passées à travailler avec lui et à s’imprégner de son handicap. Il en ressort une authenticité touchante.

Le premier tiers du spectacle évolue lentement, allant tout doucement vers le rapprochement, puis la fusion des corps. Les artistes restent longtemps à distance, redécouvrant leur corps touché par le handicap. Cette phase d’approche à travers la danse au sol est longue, et les portés acrobatiques se font vraiment attendre. Heureusement, la chorégraphie gagne petit à petit en dynamisme, s’intensifie et se densifie. Les regards, intenses, se quittent rarement, tandis que les corps, tendrement enlacés, s’imbriquent avec sensualité et ingéniosité. L’entrelacement des bras et des jambes, la montée du voltigeur, hissé par son partenaire, forment des représentations acrobatiques presque picturales. L’enchaînement complexe des figures et la façon dont elles se superposent sont le fruit d’une grande créativité.

Les portés acrobatiques augmentent à mesure que le spectacle évolue. Certaines des acrobaties sont puisées dans la capoeira, et il en est une qui revient souvent, magnifique, notamment lorsque Alexandre se livre, seul sur scène, à un enchaînement haletant d’acrobaties : c’est le « macaco ». Plus tard, ce sera au tour de Mathias Pilet de se la jouer solo. La lumière s’adoucit, puis s’éteint. Quand elle se rallume, on retrouve le jeune homme sur le devant de la scène, soutenant le regard du public, l’air déterminé. Soudain, il se jette en arrière dans un joli saut périlleux carpé et retombe brutalement, face contre terre. Encore et encore. Puis, semblant avoir recouvré toutes ses facultés, ne mimant plus la tétraplégie, il exécute une série de sauts de mains, rondades, flips, avec la détente d’un homme en pleine possession de ses moyens. Puis nouveau saut périlleux arrière avec retombée brutale. Une symbolique qui parle peut-être plus aux artistes qu’aux spectateurs. C’est toujours ce qu’il y a de plus délicat dans ce genre de représentation : saisir la portée métaphorique de ce qui se passe sur scène lorsque l’on est passif, assis sur son fauteuil, le corps déconnecté de l’esprit… Une jeunesse écorchée par la perte d’un être cher, qui vacille, tombe, mais se relève, portée par son instinct de vie ? C’est une possible interprétation.

Mathias et Alexandre testent les limites de leur handicap, essayent de le repousser aussi loin qu’ils le peuvent et déploient pour cela une énergie folle, faisant jaillir leurs corps. Les jambes des deux artistes ne cessent de se dérober sous eux en retombant mollement et brutalement sur le tapis, comme désagrégées de leur buste. Cette illusion est extrêmement bien entretenue. Derrière cette apparente maladresse, cette perte de contrôle feinte, se cache une parfaite orchestration des déplacements et des mouvements.

Le spectacle évoque aussi l’absence, cruelle : tout au long de la chorégraphie, les artistes regardent derrière eux, dans le prolongement de leurs corps, comme s’ils cherchaient Fabrice. Une belle image.

 Visuels : © photos du spectacle Nos limites, site du théâtre Monfort

Informations pratiques : Parade, de Olivier Meyrou (France, 2013, 72 min), avec Fabrice Champion, Mathias Pilet, Alexandre Fournier.

Projection suivie de Nos limites (50′), dans la petite salle – Cabane du théâtre Monfort les 22 et 23 mars 2014. Interprètes : Alexandre Fournier et Mathias Pilet ; chorégraphe : Radhouane El Meddeb.

Spectacle présenté les 22 et 23 mars au Théâtre Monfort.

 

 

 

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