“Reductio ad Hitlerum” : François de Smet interroge ce que le Point Godwin dit de nous
Philosophe, scénariste et auteur de plusieurs livres de philosophie politique dont Le Tiers autoritaire (Cerf, 2012), François de Smet propose avec Reductio ad Hitlerium une investigation sur la loi énoncée par Mike Godwin : “Plus une discussion dure longtemps, plus les chances de voir un interlocuteur se référer aux nazis devient élevée“.
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“Plus une discussion dure longtemps, plus les chances de voir un interlocuteur se référer aux nazis devient élevée”, lâche Mike Godwin sur un des premiers réseaux sociaux, Usenet, en 1990. Il réactive par là et en mode www. l’intuition que le philosophe Leo Strauss avait déjà énoncée : l’opinion post-1945 finira toujours par enterrer la discussion dans l’ornière du “Reductio ad Hitlerum” (la réduction à Hitler). Une fois l’argument des “nazis” brandi, celui qui l’énonce se décrédibilise en repliant le propos de son interlocuteur sur le “mal radical” et il n’y a en effet plus de discussion possible.
François de Smet rappelle ainsi avec justesse que “Le point Godwin se distingue par le fait qu’on ne s’y arrête jamais : on l’évite ou on le franchit.” (p.11). Telle une épée de Damoclès, il plane au dessus de toute discussion qui dépasse le commentaire météorologique.
La thèse que défend François de Smet est que dans nos sociétés plongées indéfiniment dans le malaise de leur relativisme des valeurs, le nazisme constitue un des derniers points de repères : c’est le mal radical. Très proche de Arendt dans cette définition, il prolonge cette idées par trois points : un constat sur ce que Troisième Reich a été, un autre ce que la nazisme représente pour la conscience occidentale a changé en 70 ans, et enfin, il pose en des termes originaux la question de la liberté d’expression.
Auprès d’un énoncé assez classique sur la “crise de la conscience européenne” aux prises avec ses mémoires et son Histoire, et une réflexion tout aussi synthétique et efficace sur le mal radical et son lien à la meute, c’est probablement sur la question brûlante de la liberté d’expression que le philosophe est le plus intéressant. Sa contextualisation des lois européennes visant à limiter les appels à la haine permet de mieux comprendre les enjeux du débat, et au passage, de battre en brèche l’indignation facile. Le style limpide et alerte pousse à tourne les pages, mais on reste peut-être un peu sur sa faim, car l’on aurait aimé que l’auteur applique et implique son raisonnement plus avant à l’affaire Dieudonné (ce que l’auteur a d’ailleurs fait sur son blog).et qu’il dévoue plus qu’un paragraphe à sa réflexion sur ce que le web 2.0 (pp. 76-77) a changé sur ces questions d’expression de soi. Il y a là dans cet essai des intuitions fortes qui mériteraient d’être encore développées.
François de Smet, Reductio ad Hitlerum, Une théorie du point Godwin, Puf, 176 p., 15 euros. Parution le 20 août 2014.
visuel : couverture du livre
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