Cinema
Thunder Road : l’authentique perte de contrôle [ACID Cannes]

Thunder Road : l’authentique perte de contrôle [ACID Cannes]

12 May 2018 | PAR Aurore Garot

Mélangeant pathos et humour, Jim Cummings transforme son court-métrage Thunder Road, gagnant du grand prix dans sa catégorie au festival du film de Sundance en 2016 (cinéma indépendant) en un long-métrage encore plus intense, qui rappelle que la stabilité de chacun peut disparaître dans les moments les plus difficiles de nos vies. Un film présenté dans la section indépendante Acid de cette 71e édition du Festival de Cannes.

Après le décès de sa mère, Jimmy Arnaud, policier dans une petite ville du Texas (incarné par le réalisateur lui-même), voit son monde s’écrouler. Son ex-femme demande la garde exclusive de sa fille qu’il voyait trois jours par semaine et son travail ne veut plus vraiment de lui, le considérant comme inapte depuis l’événement tragique.

Lors de la longue scène d’ouverture (correspondant à la scène du court-métrage d’origine), le policier fait l’éloge de sa défunte mère pendant ses funérailles. Une scène mi-ridicule mi-poignante dans laquelle ses émotions le submergent, le poussant à raconter anecdotes et blagues gênantes  dans un flot de paroles ininterrompu, tout en essayant de mettre sur le lecteur CD rose de sa fille, Thunder Road de Bruce Springstreen, en vain. Une situation qu’il aggrave en chantant lui-même la chanson tout en dansant devant des gens silencieux, mal à l’aise comme le spectateur dans la salle. Une scène filmée en une seule prise qui illustre non seulement ce qui nous attend dans la suite du film, mais aussi le talent d’acteur de Jim Cummings qui incarne un personnage ambivalent, à la fois fou et raisonnable, ridicule et touchant, mais surtout authentique.

Ce que dresse Thunder Road, c’est le portrait tragi-comique de cet homme désespéré qui lutte contre lui-même et les autres pour ne pas perdre le contrôle. Mais Jimmy est sur un fil en permanence, psychologiquement très instable, à la limite de craquer à chaque seconde. Il est un être ambivalent, imprévisible, en rupture avec les autres, même avec sa fille qu’il aime mais avec laquelle il n’arrive pas à se connecter. Personne n’arrive à définir exactement ce qu’il a : inadapté, surdoué, névrosé ou simplement au fond du gouffre… Le film laisse place à l’interprétation personnelle. Mais l’important n’est pas tant de définir la nature exacte de son état psychologique mais plutôt l’effet qu’il produit sur lui et sur les spectateurs : une énergie à la fois attrayante et effrayante qui le pousse à tout essayer pour s’en sortir malgré le monde qui semble se dresser contre lui. Le beauté de ce long-métrage vient de l’authenticité qui ressort du personnage: il est un enfant qui vient de perdre sa mère et qui doit en même temps assumer ses responsabilités d’adulte. Sa perte de contrôle est tout ce qu’il y a de plus normal, lors d’un moment moralement très éprouvant (dans son cas le décès de sa mère). Mais ses réactions déconcertantes et son instabilité donnent malgré tout un sentiment d’inconfort et de tension permanents, accentué par ses flots continus de parole auxquels il s’accroche, comme s’il s’agissait de la seule chose qui le faisait tenir. Le spectateur doit donc dealer entre l’empathie qu’il porte à son égard, son malaise à le voir s’enfoncer toujours plus de manière spectaculaire et sa peur de le voir craquer pour de bon.

Thunder Road est un cri du cœur, celui d’un homme effondré qui, derrière son « tout va bien » qu’il répète constamment, est une bombe à retardement prête à exploser.

Retrouvez tous les articles de Toute La Culture sur le Festival de Cannes dans notre dossier Cannes 2018

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