L’affreux Conte d’amour de Markus Ohrn au Festival d’Avignon
Comment croire que ce “Conte d’amour” porte bien son titre après avoir péniblement enduré les trois heures glauques et éprouvantes que dure le spectacle. Le plasticien Markus Ohrn réalise sa première mise en scène de théâtre avec des comédiens provenant des compagnies Institutet et Nya Rampen. Ils sont suédois et finlandais, travaillent et vivent pour certains à Berlin et viennent pour la première fois au Festival d’Avignon. Ils s’emparent d’un sujet bouleversant et terrible, l’affaire Josef Fritzl, affreux fait divers au cours duquel un autrichien a enfermé sa fille pendant plus de vingt ans et lui a fait plusieurs enfants. Le spectacle a d’ailleurs été présenté à Vienne pendant les Festwochen. La fascination du pire aura peut-être séduit une poignée de spectateurs, ils sont aussi nombreux à avoir quitté la salle de Vedène où se donnait la représentation qui inspire autant de malaise que d’ennui.
Un espace souterrain. Une cave relativement exiguë. Mobiliers rudimentaire. Pas de cloison. Trois jeunes personnes y vivent enfermées dans le noir. Promiscuité de leurs corps inertes. Le père de famille descend par le placard du salon et grâce à une échelle, apporte des sacs de nourriture McDonald’s à ses otages. Puis il s’adonne à des jeux douteux et incestueux à l’occasion desquels il peut exercer sa domination et sa perversion en donnant libre cours à sa folie. De tout cela, nous ne voyons rien dans la mesure où notre perception du jeu des acteurs est obstruée par la présence de bâches épaisses en polyane qui font écran entre l’espace scénique et la salle. Les acteurs jouent derrière, on distingue à peine les ombres et leurs mouvements. Ils se filment et c’est par le prisme des images retransmises en direct qu’on accède à la représentation.
Le procédé est déjà bien connu. Castorf l’utilise abondamment et n’est pas le seul. Sauf que dans son cas, c’est un élément du spectacle parmi d’autres et non pas le spectacle entièrement. On sait combien la vidéo en live est un élément majeur de la mise en scène contemporaine. Elle permet de scruter, capter des expressions, des regards, des visages comme ne peut le faire le spectateur sans le soutient de l’image. Cela fascine, donne l’impression de quasiment sonder l’intériorité des personnages. Il n’empêche qu’elle ne peut constituer à elle seule la matière d’un spectacle aussi long sans lasser, agacer. Une chose épate quand même, la performance de l’acteur qui joue le séquestrateur, complètement dingue, effrayant, troublant. Une très forte présence. Mais il reste difficile de ne pas se désintéresser de ce qu’on voit tant le spectacle est immuable, sans progression. Le texte est pour le moins minimaliste et l’action extrêmement répétitive.
Expérimental et radical certes, ce Conte d’amour prend certaines options contestables quand par exemple le propos dérape du côté de la dérision, de la blague même, des chansons pop et se trouve du coup éloigné de la violence et l’effroi attendus. Il devrait justement déranger sur ce terrain là et rate sa cible. Le travestissement et les costumes bariolés des acteurs uniquement masculins pour jouer tous les rôles y compris celui de la jeune femme, la difficulté de rendre crédible le personnage de l’enfant, beaucoup de choses sonnent faux.
Photo © Markus Öhrn
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