
The old king : Romeu Runa, un roi nu qui lutte
Au festival d’Avignon, dans le Cloître des Célestins, Romeu Runa, danse « The old king », une pièce qu’il a créée avec son compatriote Miguel Moreira. Remarqué par Alain Platel et membre de sa troupe les ballets C de la B, le danseur portugais réalise une performance brute et sensible, dans laquelle il développe un langage corporel intensément expressif, très physique, touchant à l’extrême, qui impressionne et fascine. Un solo puissamment, tragiquement beau.
Le point de départ du spectacle est une photo de Daniel Blaukfus qui représente un homme seul, manifestement déprimé, qui fume une cigarette en lisant un livre. On reconnait cette image inspirante dans le personnage qui se présente à nous et lorsque le danseur gagne une étroite palette de bois comme s’il échouait sur un radeau, qu’il allume un mégot de cigarette trouvé là et sort un petit carnet de notes pour en lire un court extrait.
Enigmatique, instable, sa silhouette haute et maigre n’a rien à voir avec celle d’un vieux roi, Romeu Runa est même physiquement suffisamment solide pour repousser les limites de son corps plié, recroquevillé, distordu, désarticulé.
Aspiré par le bas dont il ne peut s’extraire, il se traîne dans l’espace avec force et détermination, se meut au sol, sur les bâches noires qui le recouvrent. Entre torsions et contorsions, il tente de s’élever, ne tient pas sur ses jambes fébriles, il choit mais ne renonce pas comme pour défier sa solitude. Il lutte avec lui-même mais aussi avec l’environnement qui lui est hostile et agressif. On le voit affronter le puissant jet d’un kärcher qui le fait grelotter de tout son être et l’engouffre au point de le faire disparaître. C’est un des moments les plus beaux et saisissants du spectacle.
Une fois debout, il arpente la scène en faisant de grands pas dont chacun claque avec fracas. Avec de simples palettes de bois, il tente de bâtir une tribune précaire, une sorte de podium et un pupitre d’où il fera un discours inaudible. Aucun mot ne sort si ce n’est un charabia d’onomatopées et des cris. Cette forme d’incommunicabilité trouve enfin sa résolution dans la musique. Alors que retentit l’ouverture somptueuse du Tristan und Isolde de Wagner, le corps s’apaise, une accalmie le gagne, il est comme transformé, transcendé.
La danse de Romeu Runa est d’une organicité presque sensuelle, pourtant le choc qu’elle provoque est ailleurs. Tout n’est pas limpide mais on croit comprendre le destin d’un homme sur le retour, marginal, malade, fou, agonisant, mort peut-être, on ne sait, mais fragile et combatif face à la finitude, le chaos. Il cherche une source de vie, plante un pot de fleurs jaunes sur sa tête et dans son slip puis se barbouille de terre. Il se déshabille, émacié et trempé dans le froid de la nuit. Tout dans ses mouvements fait sens. Son corps dansant révèle l’extrême vulnérabilité humaine qu’il met littéralement à nu.
© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon