
Soleil Couchant au Théâtre du Nord : entre bruit et fureur
Avec cette mise en scène d’une pièce d’Isaac Babel, Irène Bonnaud, artiste associé du Théâtre du Nord, tente un tour de force : avec une troupe de dix comédiens, elle donne vie à plus d’une trentaine de personnages bruyants et colorés. A Odessa, sur les rives de la Mer noire, les hiérarchies sociales et familiales basculent à la veille de la Première guerre mondiale, alors que les prémices de la révolution d’octobre 1917 se font sentir.
“On a l’impression que l’humanité entière s’est rassemblée à Odessa et que raconter Odessa, c’es tout raconter” : dans sa note d’intention, imprimée sur le programme, Irène Bonnaud dit son désir d’exhaustivité, sa volonté de toute dire. De trop dire, peut-être ? Si la production dure deux heures, on a l’impression de rester bien plus longtemps devant les déboires et les débauches de cette communauté d’individus de toutes les origines sociales, riches et pauvres, jeunes et vieux, joyeux et tristes. La première heure paraît même si décousue qu’il semble difficile de faire le lien entre chaque scène, et l’on se perd dans cette multitude de personnages.
Cela manque donc de liant, de fluidité, même si certains tableaux présentent des images fortes, notamment grâce aux longs panneaux de toile qui signifient murs et vitrines et aux subtils jeux de lumière, entre ombre et éblouissement. Et les instants les plus marquants, les plus touchants, sont peut-être ceux où le plateau se vide pour laisser deux ou trois comédiens en tête-à-tête, alors que l’intimité fait place au capharnaüm : Marie Favre et Fred Ulysse font ainsi des retrouvailles des amants, le vieil homme qui veut recommencer sa vie à zéro et la toute jeune femme prête à le suivre, une scène poignante, troublante, vouée à l’échec alors que le reste de la communauté vient mettre fin à leur solitude avec fracas.
Si cette pièce polyphonique, communautaire, déborde de vitalité, son désordre ne semble pas suffisamment maîtrisé pour en faire ressortir la structure narrative. Tant et si bien qu’alors que l’on se laisse porter par les tribulations des habitants d’Odessa, on perd le fil de la pièce. Soleil Couchant n’en reste pas moins un moment agréable : il lui manque cependant la force d’un souffle sacré propre à emporter le spectateur dans son sillage, plutôt que de le laisser jouer un simple rôle de spectateur, bien à l’abri dans son fauteuil.
Photo : Franck Duhamel