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« Le Conte d’hiver » au Théâtre du Nord : un ravissement !

« Le Conte d’hiver » au Théâtre du Nord : un ravissement !

07 February 2016 | PAR Audrey Chaix

Créée en janvier 2016 au Théâtre des Gémeaux à Sceaux, la nouvelle production de Declan Donnellan et de la compagnie britannique Cheek by Jowl fait une escale à Lille avant de partir conquérir l’Europe à Madrid, Milan et Luxembourg. Une chance pour les spectateurs lillois, qui n’ont pas boudé leur plaisir à la découverte de ce Conte d’Hiver enchanteur et maîtrisé dans les moindres détails. Un grand moment de théâtre.  

Grande sobriété sur le plateau : deux bancs de bois blanc, et une sorte de container modulable en fond de scène fait de la même matière et dans lequel transitent les comédiens pour leurs entrées et sorties de plateau. Des jeux d’éclairage suffisent à installer une ambiance chaleureuse ou glaciale, un fond musical très subtil parachève l’écrin dans lequel va évoluer la troupe. Car c’est la plus grande force de cette production : pas d’effets de manche ni d’artifices de mise en scène, c’est sur le jeu des comédiens que va reposer tout l’ensemble. Exercice aussi périlleux que gratifiant : il faut des acteurs solides pour réussir une telle prouesse, mais lorsque le pari est relevé, c’est un régal …

Et le pari est relevé, haut la main. Tous les acteurs sont impeccables, de Orlando James, aussi charmeur d’effrayant en Léonte devenu fou, à Tom Cawte, touchant Mamilius victime de la folie de son père. Impossible de tous les citer, ce qui serait pourtant leur faire justice à chacun, mais n’oublions pas de saluer la remarquable performance de Natalie Radmall-Quirke en reine outragée alors qu’un tribunal présidé par son propre époux l’accuse de trahison et la condamne au cachot. Plus que des individualités cependant, c’est l’esprit de troupe qui prévaut, notamment dans des scènes d’ensemble très réussies – on pense à la fête de la tonte dans le quatrième acte, souvent difficilement négociée par les metteurs en scène, et qui est ici un pur moment de comédie, assumée par toute la troupe.

Surtout, Donnellan donne beaucoup de crédibilité aux deux grandes “invraisemblances” de cette pièce, qui peuvent paraître trop artificielles dans certaines mises en scène : la première, c’est le soudain revirement de Léonte qui, sans que l’on s’explique vraiment pourquoi, se consume brutalement de jalousie en pensant que sa femme, Hermione, et son ami d’enfance, son frère presque, Polixène, fricotent dans son dos et que l’enfant que porte Hermione est, par conséquent, un bâtard. Le jeu survolté de Orlando James dans ce premier acte, crucial pour le déroulement de l’intrigue, fonctionne parce qu’il est instauré dès les premières minutes : le spectateur est ainsi aussitôt plongé dans les méandres de son esprit torturé, sans qu’une explication soit nécessaire puisqu’elle semble préexister à la pièce. Donnellan met ainsi en évident la dimension tragique de ce Conte d’Hiver, qui place le roi en tyran, et la femme et l’enfant, persécutés, à la merci de sa folie meurtrière.

La deuxième invraisemblance du Conte d’Hiver est la scène finale, alors que la statue de Hermione se réincarne en reine bien vivante. Magie ou stratagème ourdi par Hermione et Paulina, sa complice ? La deuxième option est sans doute la bonne, mais toujours est-il que la scène, nimbée d’une douce lumière, laisse une bien belle image fixée sur la rétine du spectateur, quelque peu assombrie toutefois par la figure errante de Mamilius, le jeune prince tué par la folie de son père.

Cette production, qui utilise avec autant de brio les ressorts de la comédie que le tragique, sans oublier la fantaisie indispensable à cette pièce bien complexe, est magistrale : elle rappelle, sans prétention, que le théâtre repose avant tout sur le jeu de comédiens, sur l’esprit de troupe qui crée une telle cohésion qu’elle déborde du plateau pour contaminer les spectateurs également. Spectateurs qui n’ont pas boudé leur plaisir : la salle était debout pour acclamer Cheek by Jowl, salué par une bonne dizaine de rappels enthousiastes. Largement mérités.

Du 1er au 4 mars au Grand Théâtre de la Ville du Luxembourg
Autres dates de la tournée européenne sur le site de la compagnie

Photos : © Johan Persson

Infos pratiques

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Théâtre Saint Médard
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