Retour à Argos d’Irène Bonnaud au Théâtre du Nord (Lille)
La dernière production d’Irène Bonnaud, artiste associée du Théâtre du Nord, s’inspire de la pièce d’Eschyle Les Suppliantes, qu’elle a elle-même retraduite. Dans son spectacle Retour à Argos, elle y ajoute une partie du texte du Prométhée Enchaîné, du même auteur, où elle explique la généalogie des trois princesses au centre des Suppliantes, puis un texte moderne de la comédienne Violaine Schwartz, permettant d’ancrer le texte dans la modernité qu’il appelle dans son sujet.
Afin de mettre Eschyle en scène, Irène Bonnaud en propose une traduction forte, pleine de poésie et qui dépoussière la langue grecque des livres d’école. Une belle réussite pour conter l’histoire des ces trois princesses africaines, descendantes de Zeus et d’Io, qui viennent demander asile au peuple d’Argos, terre de leurs ancêtres. Si le roi d’Argos commence par leur refuser cet asile, par peur des représailles de ceux que fuient les trois princesses, il finit par céder, au nom du droit d’asile que l’on ne peut refuser à tout voyageur se plaçant sous la protection de Zeus.
Ce n’est malheureusement pas le cas de la mise en scène, qui est trop littérale pour pouvoir donner souffle et puissance au texte d’Eschyle. Si les chants (sous la direction musicale de Mounya Boudiaf) des trois princesses sont très beaux, pleins d’émotion, la scénographie et l’éclairage décrivent plus qu’ils ne suggèrent, appuient peut-être trop le propos, au risque de le rendre redondant. C’est aussi ce que propose le texte ajouté de Nuruddin Farah, puis celui de Violaine Schwartz : si chacun des trois textes (voire quatre, si l’on compte celui tiré du Prométhée Enchaîné comme séparé de celui tiré des Suppliantes) est très beau par lui-même, l’association des trois crée une répétition qui souligne tant le propos (une réflexion tout à fait justifiée et intéressante sur l’émigration politique et les droits des demandeurs d’asile) qu’elle finit par lasser.
Si l’on comprend qu’Irène Bonnaud est habitée par son sujet, on aurait souhaité que sa mise en scène fasse plus confiance au spectateur en lui laissant, par la suggestion et la retenue, la possibilité de participer lui aussi au discours. Dommage, car le sujet était passionnant, et surtout essentiel.
Crédit photos : Frédéric Iovino