Spectacles
Renaître des cendres de la passion avec Jeanne Candel

Renaître des cendres de la passion avec Jeanne Candel

09 March 2023 | PAR Juliette Brunet

La metteuse en scène et comédienne Jeanne Candel a investi le plateau du théâtre de l’Aquarium avec sa nouvelle création BAÙBO – De l’art de ne pas être mort. À partir de fragments des œuvres de Buxtehude, Musil et de Schütz, auxquels se mêlent nos mythes et nos représentations communes, Jeanne Candel nous propose une peinture de la passion amoureuse entre destruction et résurrection.

Dans le cadre du Festival Théâtre et Musique de l’Aquarium BRUIT, en partenariat avec le Théâtre de la Ville, Jeanne Candel nous a proposé une mise en scène de la passion, jonglant entre réalité littérale et inconscient décalé. Cette nouvelle création s’enfonce dans ces états limites, amoureux et douloureux, dans lesquels la passion se plaît à malmener nos sentiments et notre rationalité. Pour dépeindre ce désespoir universel, cette perdition sempiternelle, elle s’inspire de nos croyances partagées, des mythes qui ont cherché à expliquer cet embrasement du cœur, qu’ils soient judéo-chrétiens, grecs, romains ou originaires du Moyen-Orient. À une réalité qui a perdu son sens, se mêlent des légendes et des allégories, pour se perdre dans les tréfonds de l’inconscient. Une mise en scène mi-macabre, mi-risible où la transcendance du sujet finit cependant par perdre quelque peu le spectateur.

Des abysses passionnels où renaît le désir et chante le rire

L’inspiration de Jeanne Candel vient essentiellement de la figure de Baùbo, issue de la tradition orphique grecque. Alors qu’elle pense avoir perdu sa fille Perséphone, la déesse Déméter dépérit en s’enfonçant dans une douleur profondément humaine, dans les abysses passionnels de cette souffrance indicible. La prêtresse Baùbo, soulevant sa jupe pour lui dévoiler son sexe, réveille la déesse de sa douleur léthargique : devant ce geste, Déméter éclate de rire, revenant parmi les vivants. Cette allégorie incarne la puissance et la persistance du désir, la force du rire comme pulsion de vie et vecteur de renaissance. Toute la pièce est parcourue de cette dialectique entre Éros et Thanatos, perdition et résurrection, destruction et création. En allant jusqu’au bout de la passion, c’est aux limites de l’existence que l’on touche, à la perte totale de sens qu’on croyait lui avoir trouvé. Si la pièce s’ouvre sur le deuil d’un amour, sur les cendres d’une passion, sur une tragédie intime, Jeanne Candel met surtout en lumière le geste salvateur, le retour à la vie. La trilogie du rire, de la création et du burlesque revient donner des couleurs et des battements à ce cœur que l’on croyait mort.

Plonger dans les limbes de l’inconscient au risque de perdre le spectateur  

Par ailleurs, le mot « baubàô », d’origine grecque, signifie également « dormir » ou « s’endormir ». Aussi, Jeanne Candel consacre le deuxième volet de la pièce à la mécanique des songes, aux incohérences de l’inconscient. Avec une succession de tableaux aussi incongrus que poétiques, la metteuse en scène cherche à dépeindre la passion dans ses contradictions et ses imprévisibilités. S’émancipant de tout réalisme, ces tableaux fantasques font défiler un chœur de pleureuses en mantille noire, une figure chevaleresque, pelle et poêle en main, des femmes lumineuses aux robes immaculées. Les musiciens se trouvent agrafés sous des papiers blancs, comme crucifiés au mur – ce qui ne les empêche pas de continuer à jouer ! Avec une énergie contagieuse et créatrice, les tableaux s’enchaînent sans logique, transcendant le sujet à l’extrême. Cependant, si l’esthétisme et le burlesque s’unissent avec délicatesse, ce voyage au pays des rêves perd quelque peu le spectateur. Si ces images extravagantes illustrent bien l’absence de logique et la confusion de nos sentiments, leur inaccessibilité s’avère parfois trop hermétique pour être touchante.

Une continuité entre musique et comédie

Sur scène, musiciens et comédiens se confondent, se mêlent et se réinventent. Une formation instrumentale particulière guide les pas – et le trépas – des personnages, la musique participant au ressort comique et dramatique de la pièce. Dans une partition réadaptée du compositeur allemand Heinrich Schütz, violon baroque, saxophone alto, guitare électrique, batterie et contrebasse forment un ensemble hétéroclite et pourtant admirablement convaincant, lié sur scène par la voix profonde de la mezzo-soprano Pauline Leroy. Le saxophone guide les notes tenues des autres instruments, qui semblent jouer la partition d’un seul souffle, éloquent et passionné. On passe de l’interprétation d’un cantique qui prête à sourire, à un solo de batterie enflammé, pour le plus grand plaisir du public. Aux sonorités baroques, héritage de Schütz, se confondent les timbres d’instruments « anachroniques » comme le saxophone, la guitare ou la batterie. Les temporalités sont brouillées et les motifs qui constituent la sonorité originale de la pièce témoignent de la criante modernité de la composition, musicale comme théâtrale. La musique est le prolongement d’un texte presque absent de la création, d’une passion difficilement dicible qui s’actualise dans le son. Les musiciens évoluent sur scène au même titre que les acteurs, ils participent de l’intrigue tout comme de la mise en scène de la pièce : « tous ceux qui entrent sur le plateau peuvent être l’un et l’autre » comme le souligne Jeanne Candel.

 

Prochaines représentations

  • Du 24 au 30 mars 2023 au Théâtre Garonne – Toulouse
  • Tournée 2023-2024 : Italie, Théâtre Dijon Bourgogne, Comédie de Colmar

 

Baùbo © Jean-Louis Fernandez

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Juliette Brunet

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