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Peeling Back, la création féministe et futuriste de Nina Santes à l’Atelier des Capucins de Brest

Peeling Back, la création féministe et futuriste de Nina Santes à l’Atelier des Capucins de Brest

09 March 2023 | PAR La Rédaction

Dans le cadre du festival Dañsfabrik, rendez-vous à l’Atelier des Capucins de Brest pour une séance beauté sans pareil. Avec Peeling Back, Nina Santes réinvente les canons de la beauté, en nous proposant une lecture féministe et spectaculaire des injonctions faites aux femmes en matière d’apparence.

Par Eléonore Carbajo et Juliette Brunet

« Bienvenue à Beauty Glow Tanning Studio », un salon de beauté pas comme les autres

En entrant dans la salle, le public s’installe sur les estrades entourant l’espace scénique, qui semble pris en étau entre les huit rangées de sièges. Nina Santes nous attend, debout au centre d’un dispositif de miroirs qui la reflète autant qu’il l’enferme. Forte de nombreuses créations, lui ayant valu le Prix SACD Nouveau Talent Chorégraphie en 2018, Nina Santes opère actuellement en tant qu’artiste associée du CCNO (Centre Chorégraphique National d’Orléans), organisme avec lequel elle entend participer à l’affirmation de la place et de la représentation des femmes dans le milieu artistique.

Peeling Back, c’est le point de départ d’un cycle de créations solo qui voit le jour en 2022, le « Beauty Glow Tanning Studio ». Ce « lieu-créature » met en valeur autant qu’il mutile le corps de la femme, dans un rituel millimétré. Une chorégraphie de la convulsion, de la violence, qui n’est pas sans faire penser à sa précédente création en 2020, République zombie, qui interroge justement cet état second et monstrueux du corps. Ici, pas de zombie à proprement parler, mais un corps mutilé, une couverture corporelle blessée. L’interprète essaye d’en sortir, de s’extraire de cette chaire dénaturée, retirant une à une les couches de vêtements qu’elle porte, du peignoir brodé du nom de l’institut, à diverses combinaisons moulantes. L’effeuillement de la tenue a lieu tout au long de la performance, chaque couche laissant apparaitre une nouvelle, dans une mue qui donne à voir des meurtrissures toujours plus profondes.

Une esthétique futuriste pour un peeling libérateur

C’est dans un décor de science-fiction que la performance prend vie, une voix robotisée accueillant le spectateur comme un client de l’institut de beauté imaginaire et futuriste qui se déploie sous ses yeux. La disposition des vitres qui entourent l’espace scénique dans lequel se déploie l’artiste, est le reflet de la performance plurielle qui se joue et dans laquelle chaque spectateur découvre la création sous un angle différent, par un prisme unique et inédit. Le spectateur est à la fois le protagoniste direct de la représentation, mais aussi un témoin indiscret d’une performance esthétique qui joue sur les reflets, sur les regards de côté, sur les moments d’absence. En effet, Nina Santes tourne toujours le dos au moins à une partie du public qui l’entoure. Le son lui aussi se réverbère, sur quatre enceintes disposées aux quatre coins de la pièce : cela donne l’impression que les paroles viennent d’ailleurs, d’un ailleurs pas tout à fait certain, et même tout à fait énigmatique, voire terrifiant.

Au centre, comme possédée par son interprétation, Nina Santes se déplace sur des bruits saturés, et sur le son amplifié de sa propre voix. Chaque geste semble glisser sur le sol, les déplacements sont précis et terriblement gracieux, qu’il s’agisse de verser de l’eau dans des vases, de taper sur les vitres qui l’entourent de ses ongles, ou de s’agiter sur la chaise à sa disposition. Sans même que l’on s’en rende compte, les néons baignant l’espace d’une couleur rose bonbon virent au rouge sang puis à des teintes plus froides et oppressantes, un vert aux nuances cadavériques. Le salon de beauté se meut en un lieu cauchemardesque où Nina Santes est dépossédée de son propre corps, dans une sorte d’automutilation rituelle. Les mouvements synchronisés avec les divers bruitages se font animal, monstrueux, signe d’une humanité écorchée.

Les repères se déconstruisent lorsque l’interprète abolit les frontières avec le public en sortant de son espace dédié, de sa prison de cristal. S’affranchissant de toute distance, l’interprète semble chercher, aux pieds d’un public médusé, les instruments nécessaires à son rituel esthétique, l’eau qu’elle verse et qu’elle recherche tel un monstre assoiffé. C’est en sortant de la cage vitrée dans laquelle elle performe qu’elle retire soudain son peignoir, l’occasion d’une première réflexion sur le corps marqué par un peeling violent et monstrueux.

Faire voler en éclat la prison de verre des carcans 

Nina Santes avait déjà amorcé un questionnement des structures de domination dans ses précédentes créations. Avec Hymen Hymne, rite de sorcellerie féministe, la chorégraphe présentait la possession de son propre corps comme une revendication. Avec une énergie puisée aux tripes, cette performance folle, incarnée et possédée, laissait voir des références politiques et militantes concernant l’émancipation féminine et la lutte contre les stéréotypes voraces. 

Là encore, Nina Santes nous emporte au plus profond de sa réflexion. Les paroles scandées, dans un entêtement aux accents de folie, nous donnent l’impression que c’est nous, en tant que public observateur, qui véhiculons les injonctions imposés au corps féminins. « Gorgeous », « such a beautiful body »… autant d’apostrophes à une beauté idéalisée et canonisée, qui se trouve ici déconstruite, sabotée, désagrégée. L’interprète retire son foulard et laisse tomber ses cheveux sur ses épaules tout en continuant de danser et de se déplacer vers les spectateurs. Les gestes sont amples bien que parfaitement robotiques, gracieux bien que tout à fait contrariés.

La scène prend en intensité lorsqu’elle pousse les quatre miroirs à bout de bras, de toutes ses forces, sans jamais relever le visage. On distingue derrière son carré, le rictus de sa bouche, de laquelle sort un cri aussi cathartique que douloureux. La logique du peeling libérateur se poursuit, lorsqu’elle troque sa seconde peau pour une troisième. Puis, tout se calme. La musique de « relaxation » reprend comme elle avait commencé au début de la performance et Nina Santes se réapproprie son rôle d’hôtesse dans le salon de beauté. Ce faisant, elle présente aux spectateurs encore haletants des « boissons buvables », d’une « gamme sur mesure de produits naturels », dont chacun se saisit.

La mise en scène prend un nouveau tournant lorsque se juxtaposent des audios et voix-off enregistrées, scandant la bienvenue dans une histoire qui se répète à l’infini. Manifeste féministe dansé, des téléphones engloutis dans des vases, lisent en boucle des enregistrements vocaux témoignant d’agressions physiques et sexuelles envers des femmes. Dans un brouhaha dénonciateur, Nina Santes retire encore une couche de vêtements, et déambule dans la pièce en distribuant les fioles de l’élixir de jouvence fait maison. Le public participe du rituel en ingurgitant les boissons, et en faisant résonner en eux les phrases percutantes qui s’enchaînent et se détachent les unes des autres.

La verve revendicatrice ne s’éteint pas avec les applaudissements qui succèdent à cette performance futuriste très réussie, lors des divers saluts de Nina Santes, que l’on découvre à l’aune de ce salon de beauté pas comme les autres. Le peeling a eu lieu, et le public ressort de la création, non sans défauts et imperfections masquées, mais avec le sentiment d’avoir assisté à une déconstruction des canons de beauté et à une réappropriation – certes cauchemardesques, mais bien réelle – de son propre corps.

 

Visuel : EC

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