
Ma jeunesse exaltée, la dernière arlequinade d’Olivier Py à Avignon
Pour sa dernière édition à la tête du Festival d’Avignon, l’auteur et metteur en scène présente une pièce-fleuve, comme il en a le secret. Forcément excessive mais aussi joyeuse que jouissive, elle s’offre comme un chant d’amour à la jeunesse et au théâtre placé sous l’égide d’un Arlequin intrépide.
Présenté au gymnase du Lycée Aubanel, Ma jeunesse exaltée s’offre à la fois comme la conclusion d’un mandat de direction et un retour aux origines pour son signataire et son fidèle public de festivaliers. C’est dans ce même lieu que se donnait il y a plus de vingt-cinq ans La Servante, première folie théâtrale avignonnaise de l’artiste Py qui réinstalle son décor de tréteaux au bois clair. Cette servante trône et veille toujours en majesté au centre du plateau vide surplombé de l’inscription « Quelque chose vient », une promesse tenue dans les grandes largeurs.
Olivier Py renoue avec la jeunesse, sa propre jeunesse, et surtout avec la comédie. C’est sur une tonalité lyrico-satirique teintée d’un humour franc et volontiers à charge et d’une bonne dose de dérision que le dramaturge, très en verve, ressasse à l’envi ses marottes habituelles. Brassant d’innombrables sujets obsessionnels tels que l’art, la joie, la mort, l’amour, le capitalisme, le mystique…, Py ne parle que d’une seule et même chose : le théâtre. Il en convoque d’ailleurs une des figures archétypales les plus mythiques, celle d’Arlequin, traitée d’une manière jamais compassée, aux antipodes des conventions. S’il arbore son traditionnel costume à losanges bigarrés sous un blouson en cuir de « loulou », Arlequin est un jeune homme d’aujourd’hui, livreur de pizza, connaissant la précarité. Cet Arlequin, qu’on découvre d’abord passé à tabac, dessapé et jeté dans une poubelle, c’est la « vérité en costume », c’est la vie, la joie et l’espérance. Il dit venir pour « foutre un beau bordel » et rend tout permis et possible.
À la faveur d’une rencontre avec Alcandre, un vieux poète oublié et épris d’un irrévocable amour pour lui, il devient un arnaqueur de génie, un agitateur, un libérateur, un orchestrateur de canulars visant à bousculer des systèmes usés et sclérosés. Le politique, le capital, le religieux en feront tous abondamment les frais. Ce sera l’occasion de voir déféquer un grand magnat de la finance (Damien Bigourdan en ersatz de Vincent Bolloré), réciproquement se fesser un ministre de la culture et son proche conseiller (Émilien Diard-Detœuf et Flannan Obé), et enfin, danser un évêque devenu cardinal (Olivier Balazuc) en culotte et jarretelles.
Provocant, fulgurant, mais aussi redondant, ce nouveau texte se veut et s’assume toujours aussi copieux et trop verbeux, mais il est admirablement vivifié, électrisé, par une brillante troupe d’acteurs. Formidables d’énergie et d’inventivité, d’endurance et d’aisance, tous les interprètes cheminent dans les arcanes d’une intrigue aux dimensions politiques, religieuses, artistiques comme dans les Enfers où Arlequin trépasse pour mieux renaître. Autour de Bertrand de Roffignac, ébouriffant Arlequin qui sait laisser transparaître sous les pirouettes et galipettes la franche jovialité, mais aussi la part sombre et tourmentée de son personnage, Xavier Gallais est parfait en Alcandre désabusé et Céline Chéenne d’une incroyable drôlerie en tragédienne emphatique. Olivier Py et toute son équipe ont porté haut la parole qui sauve et le besoin de renouveau. Le jeu est à la fête. C’est beau, c’est long, c’est trop, mais chez Py le théâtre est forcément totalité.
Visuel © Ma jeunesse exaltée / Christophe Raynaud de Lage
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