Les voix ouvrières s’élèvent dans la Fabbrica de Celestini
Ascanio Celestini est un jeune auteur de 38 ans qu’on découvre avec enthousiasme au Théâtre des Abbesses où Charles Tordjman met en scène La Fabbrica, une pièce écrite en 2001. L’auteur est très connu en Italie où il exerce les nombreux métiers d’auteur dramatique, anthropologue, acteur, musicien de rock et cinéaste. Ce grand poète est aussi un homme engagé, politiquement contestataire : il travaille quotidiennement pour la Rai Tre, la seule chaîne de télévision qui n’est pas contrôlée par Silvio Berlusconi. La Fabbrica n’est pas une pièce documentaire mais reste en phase avec la réalité. Elle raconte des destins individuels inscrits dans l’Histoire de l’Italie.

Ascanio Celestini s’inscrit dans un courant de théâtre dit de « narration », une manière différente d’envisager l’écriture dramatique. Il n’écrit pas une pièce de théâtre mais un long récit qui a pour vocation d’être dit par un acteur seul en scène (Celestini joue lui-même ce texte en Italie et se définit par le joli néologisme de « narracteur ») dans un dépouillement total, sans décors ni artifices, à la manière d’un oratorio. Ici, le récit prend la forme d’une longue lettre qu’un homme écrit à sa « Chère maman ». Le texte est découpé pour un duo d’acteurs touchant, merveilleusement musical. Serge Maggiani a l’élocution douce, un jeu calme, parfois drôle-amer et Agnès Sourdillon a un phrasé rythmé et enjoué ; deux interprètes de talent qui prêtent leur voix et leurs traits à tous les protagonistes de l’histoire (les trois Fausto, Assunta, le patron…) et font entendre toute la force poétique du texte ainsi que l’humour, la fantaisie qui relève parfois du conte comme dans l’épisode d’Assunta, belle Madone aux trois seins qui séduit les ouvriers puis les jette dans un puits.
Charles Tordjman a eu le désir d’intégrer au spectacle des parties chantées. Pour cela, il a fait appel à Giovanna Marini qui a écrit les chansons originales qu’elle interprète a cappella sur scène accompagnée par Sandra Mangini, Germana Mastropasqua et Xavier Rebut. La tonalité musicale est majoritairement plaintive. Le chant puissant raisonne du fond des entrailles. Pourtant, l’alternance texte/musique paraît redondante.
La scénographie abstraite et massive imaginée par Vincent Tordjman donne à voir l’abîme d’un enfer sombre. Une haute verrière inclinée, qui sépare la salle et la scène, traduit bien le sentiment d’enfermement et l’aliénation qu’impose l’usine aux ouvriers. La dimension verticale du décor donne l’impression de manger l’espace et les êtres. L’ouvrier déteste la fabbrica mais il y est profondément lié, elle fait partie de lui. A travers les histoires populaires que raconte cette pièce, on traverse l’histoire de l’Italie sur trois générations : la pleine industrialisation, les années noires du fascisme avec Mussolini et enfin, la menace de la mondialisation, la perte du travail des ouvriers. On y chante l’espoir en le socialisme avec force. Celestini décrit les conditions terribles de travail dans les grands fourneaux d’une usine sidérurgique qui tue l’homme mais aussi, peut-être avec nostalgie, une époque certes laborieuse qui reconnaissait au travailleur sa dignité et son honneur. La pièce nous pose la question de la survie de la classe ouvrière face au progrès. Celestini est une sorte de gardien de sa mémoire. Absolument nécessaire et passionnant.
La Fabbrica, jusqu’au 16 janvier à 20h30, aux Théâtre des Abbesses, 31 rue des Abbesses Paris 18 arr., Métro Abbesses ou Pigalle. 01 42 74 22 77. www.theatredelaville-paris.com
2 thoughts on “Les voix ouvrières s’élèvent dans la Fabbrica de Celestini”
Commentaire(s)