Théâtre
“1983”, pédagogique, enivrante et finement menée au Théâtre de la Ville

“1983”, pédagogique, enivrante et finement menée au Théâtre de la Ville

08 December 2022 | PAR Chloé Coppalle

Jusqu’au 10 décembre, le Théâtre de la Ville explore, avec la pièce 1983, l’histoire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, aussi appelée la Marche des Beurs. 17 jeunes partent de Marseille et arrivent à Paris, entourés de 100 000 personnes. Dans quel contexte cet événement a-t-il eu lieu ? Et finalement, à quoi aboutira-t-il ? Jouée jusqu’au 10 décembre, 1983 parcourt de multiples pans de l’histoire nationale méconnue, dans un univers vintage et pop aux allures de film.

Un texte engagé, entre passé et enjeux contemporains

1983 raconte une époque, celle où les radios étaient contrôlées sous ce que l’on appelait le monopole et tutelle de l’État sur la radio. Seul l’État pouvait diffuser. Dans les années 1970, une vague de protestation s’est alors développée pour lutter contre cette exclusivité afin d’obtenir le droit de diffuser sur les antennes privées, dites libres, car hors de gouvernance. 1983 raconte l’époque des radios périphériques ou pirates. Elle raconte aussi celle des luttes contre les crimes racistes, les exclusions sans foi ni loi des immigrés, les brouilleurs, la lutte ouvrière. Nous sommes dans les années 1970. Et puis, d’un coup, François Mitterrand ! À peine élu, le Président se met tout de suite au travail et abroge le monopole. Cette élection représente l’espoir. Malheureusement, elle sera aussi marquée par la désillusion et le développement massif du Front National.

Des plateaux TV aux propos de nos proches, la pièce arrive à articuler histoire et problématiques actuelles. Jean-Marie Le Pen banalisait les idéologies racistes comme le font aujourd’hui sa fille et Eric Zemmour. Dans 1983, le personnage de Michou, qui pourrait faire partie de notre famille ou être un de nos amis, dit un jour aimer tout le monde, « mais [il ] y a des vérités qui doivent être dites ». Ah bon ? Toi aussi Michou ? Toi aussi tu crois à ça ? Alors parallèlement à cette montée politique, une protestation se met en place. 17 jeunes partent de Marseille le 15 octobre 1983. Ils arrivent à Paris le 3 décembre, entourés de 100 000 personnes. 38 ans plus tard, les rues de milliers de villes à travers le monde sont bondées en hommage à Georges Floyd. Le texte est intéressant, car il choisit des événements en lien avec l’actualité d’aujourd’hui, tout en restant dans la dimension historique, ce qui n’alourdit pas la narration, mais propose de créer des analogies avec finesse.

La mise en scène de ces contextes historiques méconnus permet de comprendre d’où viennent les contextes qui nous entourent, et même temps, nous rappellent aussi que malgré un changement d’époque évident, de nombreux aspects n’ont pas évolué, voire reviennent.

1983 raconte également la grève du secteur automobile qui protestait contre le fait que les travailleurs étrangers étaient en première ligne des plans de licenciement.

En 2012, le rappeur Kery James dénonce dans la chanson Lettre à la République que « les immigrés, c’n’est que la main d’œuvre bon marché ».

11 ans plus tard, le ministre de l’Intérieur Gérard Darmanin propose la création très controversée d’un titre de séjour “métiers en tension” qui sera débattu dans le projet de loi immigration début 2023, et qui vise à régulariser les travailleurs évoluant dans les métiers où il manque … de la main-d’œuvre. Et bien sûr, les conditions de travail de ces métiers en tension sont toujours précaires.

Une mise en scène pop, vintage et envoûtante !

1983 rappelle l’univers vintage pop du film 120 Battements par minute. Les néons rouges, verts, bleus, la mort, la mobilisation des jeunes, la musique électronique et nocturne envoûtante. Pour raconter ces histoires, ces personnages caricaturaux dont on se moque, leurs difficultés et leur confiance inconsciente envers les médias, la scénographie est composée de deux blocs collés ensemble dont l’identité change en fonction des contextes racontés. Ce décor hybride est bien pensé, car il permet la transposition de différents espaces en un même lieu : la radio, les toits, la boite de nuit, la scène de concert, la maison, le bar. L’usage d’un écran est également bien envisagé, car il donne accès à ce qui se passe sur scène, mais que le spectateur ne voit, pour créer deux espaces simultanés et mettre en échos deux actions au même moment. Visuellement, la mise en scène est vraiment cool et cet univers pourrait faire l’objet d’un film.

Il était grand temps de rendre hommage à l’histoire de la main-d’œuvre étrangère en France, et de faire un focus bien articulé sur les aspects peu connus du grand public qu’a choisi la pièce. 1983, c’est une bande de jeunes comédiens qui nous emporte dans les années 1970 et 1980. 1983 pourrait être la suite de ce que raconte Zoo / ou l’assassin philanthrope, également jouée par le Théâtre de la Ville cet automne. Cette dernière évoquait le racisme scientifique de la fin du XIXe / début XXe siècle. 1983 raconte le racisme d’État et sa banalisation dans les sphères sociales près de 100 ans plus tard. Bien que la durée de 2h35 aurait peut-être pu être un peu allégée, la pièce et sa très belle mise en scène sont à voir jusqu’au 10 décembre !

Visuel © Loïc Nys

Tournée 

Du 1er au 10 décembre 2022 au Théâtre de la Ville-Abbesses.

Jusqu’au 22 janvier 2023 au Théâtre Gerard Philipe, Saint-Denis, dont la critique de Julia Wahl est à retrouver ici !

Puis, du 24 au 31 janvier au Théâtre de la Cité internationale.

 

” Departure “, une rétrospective de l’œuvre de Max Beckmann à la Pinakothek der Moderne de Munich
Una imagen interior, la superbe réalité flottante d’El Conde de Torrefiel
Chloé Coppalle

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