L’Enfant que j’ai connu, quête patiente et belle d’un deuil impossible
La pièce d’Alice Zeniter, mise en scène par Julien Fišera et jouée par Anne Rotger, entraîne dans un récit et des réflexions qui frappent et émeuvent. Un spectacle qui prend tout le temps de déplier son sujet, à voir jusqu’au 12 février au Théâtre Dunois.
Il y a d’abord ce texte, brillant et sensible : Alice Zeniter y met en scène une femme dont le fils de dix-neuf ans a été tué par un policier en marge d’une manifestation. Loin d’être démonstrative, l’autrice, ici, s’approche de la douleur de cette mère et de ses points centraux : la concision est son outil, tout autant que l’acidité. À ce titre, elle ne redoute pas de plonger dans les moindres pensées de la protagoniste éplorée qu’elle suit : ainsi lorsque cette héroïne se prend à penser qu’elle “aurait dû avoir une fille“, on a l’impression, passé le choc, d’avoir accès à son tourbillon intérieur. L’écriture de cette pièce pour une voix est ainsi : on y sent l’envie de balayer une âme frappée par des bourrasques, et surtout de l’observer, avant de la juger. Une démarche dont le résultat est livré au public via des mots justes, concrets et très puissants à la fois, et des micro faits racontés inattendus, tel cet instant où la protagoniste, mère d’un garçon assez vite contestataire, donna à un ami de son fils l’idée d’une inscription qu’il se tatoua, juste en faisant une plaisanterie.
La mort de son enfant fait émerger chez cette mère des questionnements, quant à son statut de privilégiée blanche en France. Bien traduits dans le texte, ces interrogations ont également tout le temps de se déployer via la mise en scène patiente de Julien Fišera : rien de figuratif ici, et aucun étouffement, tout s’organise comme pour que le vide puisse se manifester et imposer sa nature, en majesté. On commence par voir, dans la pénombre, un corps agité venir lancer les questions et la rage qui l’activent : le plateau dégagé, habité seulement par quelques sacs contenant des accessoires, lui laisse ensuite le loisir de se déplier, de s’ouvrir et de s’offrir. La mise en scène paraît apprivoiser le jeu de l’interprète du texte, et par extension les sentiments rageurs qui sous-tendent ce dernier. Pari réussi au final : émaillé de plages de calme et de silence, le spectacle respire. On ressent pas mal de vie qui s’agite, guère étouffée sous des effets.
Confrontée aux lumières sculptant l’espace signées par Jean-Gabriel Valot, qui donnent beaucoup à rêver et à imaginer, l’interprète Anne Rotger passionne, au final : arrivant donc sur scène dans un assez impressionnant état de nervosité et de confusion, du fait de tout ce qu’elle vit, l’héroïne qu’elle incarne se livre finalement sous pas mal de facettes. Sa performance apparaît forte et réfléchie : elle entraîne aussi bien dans l’histoire qu’elle figure que dans les questionnements du texte, qu’elle parvient sous les yeux du public à faire siens, de façon très naturelle. On occupe donc avec elle cet appartement inconnu où elle s’est réfugiée pour fuir ses détracteurs – lieu que l’on se sculpte intérieurement, du fait de l’espace bien dégagé conçu par François Gauthier-Lafaye – en s’interrogeant à ses côtés, notamment, sur cette mystérieuse phrase qu’elle a lâché à la fin du procès conclu par un non-lieu du policier qui a tué son fils.
L’Enfant que j’ai connu est à voir jusqu’au 12 février au Théâtre Dunois, à Paris. À voir à partir de 15 ans.
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Visuel : © Simon Gosselin