
La troupe d’Eric Lacascade en villégiature dans Gorki
Eric Lacascade s’est fait du théâtre russe son domaine de prédilection. Sa présence par deux fois dans la célèbre cour du Palais des Papes avec Platonov (2002) puis Les Barbares (2006) a enchanté le Festival d’Avignon et montre son attachement à ce répertoire. Il revient à Gorki avec Les Estivants, une pièce fleuve de presque trois heures, une fresque passionnante qui étudie les comportements de petits bourgeois en villégiature. Malgré le pessimisme de certaines des situations, c’est bien le rire qui l’emporte dans cette mise en scène créée en janvier au TNB à Rennes et servie par une belle troupe d’acteurs.
« C’est étrange comme on vit, on parle et c’est tout ». Cette réplique de Barbara pourrait assez bien résumer la pièce. Les personnages sont là et n’ont rien à faire, alors ils parlent, fument et boivent, ils chantent, font du sport, se reposent. Ils disent faire partie de l’intelligentsia russe, sont capables de philosopher comme de s’adonner à de vains enfantillages. C’est une manière de tromper l’ennui et de croire encore en leur existence avec une soif de vivre, pour eux et ensemble, contrariée par la peur et l’égoïsme. La scénographie d’Emmanuel Clolus est intéressante car elle interroge cet « être en commun ». Le décor range d’abord les personnages dans des petites cabines de plages comme ils sont eux-mêmes emmurés dans leur individualité. Puis, les maisonnettes s’ouvrent et s’éparpillent de la même manière que les êtres se désolidarisent. Un espace commun se forme et joue sur la promiscuité : on s’y réunit et le temps passe; on se confie, se dispute, entre amour et désamour.
Pour jouer cette pièce chorale, Eric Lacascade réunit une belle équipe d’acteurs avec qui il a l’habitude de travailler et réalise un vrai spectacle de troupe, une performance à la fois collective et singulière, au jeu contrasté. On apprécie la merveilleuse musicalité des voix aux accents mélangés : italien, argentin, nordique… Il se produit une réelle émulation créatrice qui repose essentiellement sur le talent et l’énergie des acteurs et le plaisir du plateau. L’interprétation est enlevée, nerveuse, explosive. Citons l’excellent Christophe Grégoire, Daria Lippi, Marco Manchisi, Grégoire Baujat très juste dans le rôle complexe de Vlas, Jérôme Bidaux parfois trop en force. On est plus réservé sur Laure Werckmann qui joue Olga.
Le metteur en scène a le souci de la clarté et c’est très bien même s’il indique finalement un peu trop les choses, notamment dans les comportements des personnages parfois trop univoques. En revanche, son travail sur la pièce est inspiré et très inventif. Avec la costumière Marguerite Bordat, il tire la pièce de son univers russe et évacue un quelconque folklorisme pour la rendre plus universelle. On s’imagine en vacances quelque part en Europe. Les personnages, vêtus légèrement de pantalons ou de shorts en toile, en maillots de bains et peignoirs blancs nous ressemblent. Il manque tout de même de l’émotion à ce spectacle. Les personnages sont faibles mais ne sont pas condamnés. Il y a du cynisme dans la pièce de Gorki mais surtout des failles, des fêlures. On aurait voulu être plus touché par un petit supplément d’âme que l’on a véritablement trouvé dans la déchirante Barbara de Millaray Lobos Garcia.
Les estivants, jusqu’au 21 mars, du mercredi au samedi à 20h, le dimanche à 17h, au Théâtre Les Gémeaux à Sceaux, 49 avenue Georges Clémenceau (92). RER B Bourg-la-Reine, 01 46 61 36 67.
Spectacle vu le 12 mars 2010
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One thought on “La troupe d’Eric Lacascade en villégiature dans Gorki”
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Loreleï
J’ai été voir Les Estivants et j’ai adoré comment le metteur en scène a su méler la philosophie et les questions existenielles qui se posent dans cette pièce à de l’humour irrésistible. Vraiment chapeau, je ne me suis pas ennuyée un seul instant. Cette pièce m’a fait rire et réfléchir en même temps. Excellent