Théâtre
La faculté des rêves, Christophe Rauck met en scène le cauchemar de Valerie Solanas

La faculté des rêves, Christophe Rauck met en scène le cauchemar de Valerie Solanas

24 March 2022 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Jusqu’au 8 avril, Christophe Rauck met en scène dans sa maison, le Théâtre Nanterre-Amandiers, la vie de loose de l’autrice du SCUM Manifesto. Du grand et beau théâtre.

“L’enfer sur terre”

En interview dans nos pages il y a quelques jours, Cécile Garcia-Fogel nous disait vouloir jouer le rôle de Valerie Solanas de façon “punk” et “légère”. Et effectivement, c’est comme ça qu’elle attaque. Gisante au sol, le corps en angles. On devrait frémir d’horreur, mais on sourit plutôt. Elle se parle à elle-même, pardon, à sa narratrice, sa “faculté des rêves” (Claire Catherine). Et d’entrée le dialogue presque absurde décale l’horreur, décale “l’enfer sur terre”. Côté enfer, dans la fiction comme dans la réalité, la vie de cette femme est un gouffre. Victime d’inceste dès l’âge de 9 ans, une mère dépassée (Marie-Armelle Deguy), vite, la drogue, la prostitution, et une vie marquée par deux grandes dates : le 3 juin 1968 elle tire sur Andy Warhol (David Houri) à la Factory.  Le 25 avril 1988 elle meurt dans ses fluides, seule à San Francisco. Entre, elle écrit sa haine viscérale des hommes. Cécile Garcia-Fogel est éblouissante dans le rôle, se déplaçant comme on ramone une terre, à pas concentrés, repliés, parfois cela lui donne l’allure d’une gamine apeurée qui cherche à fuir.

“Je déteste la violence”.

Dans sa mise en scène, Christophe Rauck fait des allers-retours entre les grandes dates de la vie de Valerie. L’espace scénique se concentre sur une pièce transparente, un Priva-Lite, qui comme dans les premières pièces de Warlikowski puis Gosselin sont à la fois un support aux vidéos, projections de textes et un outil pour décaler le jeu des comedien.nes (Claire Catherine, Cécile Garcia-Fogel, Mélanie Menu, Marie-Armelle Deguy, David Houri et Pierre-Henri Puente). Ce cube est comme un écran où les échanges entre le juge et Valerie au procès Warhol sont diffusés. On comprend tout de suite via ce procédé l’état d’esprit de cette accusée : “souvenez-vous que je suis la seule femme qui ne soit pas folle”.  Elle ne cesse de crier sa colère, mais la voix reste douce. Elle ne cesse de parler en punchlines (“ma chatte n’est pas mon âme”), en tirant les mots comme des balles. 

Faire théâtre avec un roman

La faculté des rêves est un roman de Sara Stridsberg, pas une pièce de théâtre. Il a donc fallu lier ces grands temps de la vie et de la pensée de Valerie Solanas entre eux. Et cela est fait de façon claire et nette. Il y a énormément de structure dans les 5 actes de la pièce, tous soulignés par des couloirs de néons blancs ou rouges. Les comedien.nes jouent en troupe, avec une totale écoute. Ils et elles s’amusent beaucoup, et on le sent, dans les scènes de reconstitution de la Factoy qui brillent bien ! On le sait, les liens avec la musique sont très importants pour Christophe Rauck et pour La faculté des rêves, il apporte de la douceur grâce à la voix blues de  Mélanie Menu qui nous fait sortir de salle plus légers, en fredonnant du Johnny Cash. On sort de là avec l’impression de connaître Valerie Solanas, d’avoir vécu deux heures avec elle comme si c’était toute sa vie. Reste à relire son Scum Manifesto pour en piocher la satyre et l’ironie, et pour aussi célébrer la mémoire de cette autrice pas si folle.

La mourante est souvent inconsciente au cours des dernières heures. S’il n’y a pas d’antidouleurs – mais il y en a pour ainsi dire tout le temps dans la société moderne – la mourante est sujette à d’intenses douleurs et à des crampes. Faites-lui savoir que vous êtes présent dans la pièce, parlez-lui, prenez-lui la main, cela l’aide à lutter contre la douleur. Durant cette phase, vous devez vous consoler en vous disant que les sensations et la conscience sont extrêmement troublées. Il ne reste dans la mourante que des fragments et des filets de lumière. La dernière chose qui se produira sera que son cœur s’arrêtera de battre et sa respiration cessera. Après (après la mort) les pupilles sont écarquillées(…)

A voir aux Amandiers jusqu’au 8 avril. Tout public à partir de 14 ans, il reste de la place, go !

Informations et réservations ici.

Visuels : ©Geraldine Aresteanu

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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