
La chair à vif de Marivaux revu par Grégoire Strecker
En exposant crûment les corps de ses acteurs plantés sur une lande insulaire, Grégoire Strecker révèle autant la sauvagerie sensuelle que la perversion de La Dispute de Marivaux.
« C’est seulement que je ne veux rien perdre ». C’est le beau titre donné à l’adaptation percutante et sans concession de La Dispute de Marivaux réalisée par Grégoire Strecker et la jeune compagnie 719 en résidence au Studio-théâtre de Vitry où viennent de se donner 8 représentations.
Très répandue désormais, la nudité sur scène est autant un choc esthétique qu’un cliché. Pour autant, ce que montre le travail de Grégoire Strecker, c’est la justesse d’un tel recours quand il soutient un propos et n’est pas gratuitement provocateur. Ici, les corps débarrassés de leurs oripeaux sont la matière primitive d’une pièce qui l’est tout autant. Avec animalité, les êtres se tournent autour, se jettent les uns sur les autres, se montent dans une furieuse bestialité qui s’exprime à travers des râles de désir et de sauvagerie. Les personnages de Marivaux se présentent à nu dans leur état de nature. Ils sont quatre jeunes gens privés depuis leur naissance de toute civilisation, isolés du monde et des individus puis lâchés sans précaution dans le monde qu’ils doivent appréhender à retardement. L’expérience est brutale. Sa représentation l’est tout autant. Elle permet dans la pièce d’édifier la belle Hermiane et le Prince qui débattent de l’inconstance des sexes et veulent savoir qui de l’homme ou de la femme a trompé le premier l’autre. Ces deux personnages ont été évincés de la représentation comme le prologue dont ils sont les héros. Streker multiplie les infidélités au texte et toutes ne sont pas convaincantes mais il en restitue les principaux enjeux de manière lisible et saisissante. La représentation se concentre uniquement sur l’évolution des cobayes humains de Marivaux qui se présentent sous le regard voyeur et clinique du spectateur placé autour d’un podium baigné de lumières crépusculaires et de fumée brumeuse.
A voir la physicalité exacerbée dans le jeu des acteurs, on pense forcément à Patrice Chéreau, tristement disparu il y a un an, qui, dans le cadre du festival d’automne, en 1973, présentait une Dispute devenue mythique avec l’art inné de donner à voir l’expressivité électrique des corps. Les acteurs de Strecker, dans leur engagement total et parfois même périlleux, se livrent sans ménagement dans une proposition scénique à forte densité physique. Cela tombe parfois dans la complaisance et la facilité. Pour autant la représentation a de géniale qu’elle pourfend la bienséance et se dispense avec audace de tout amabilité. Sa réelle intensité ne tient pas vraiment la longueur (bien exagérée pour une aussi brève pièce en un acte). Mais la chair y est radicalement éloquente.
Photo : La Dispute par Antoine Strecker / Compagnie Champ 719 © Tous droits réservés.
Plus de représentations. Du 3 au 11 octobre 2014 au Studio-Théâtre de Vitry.