Théâtre

La ballade la geôle de Reading d’Oscar Wilde à la Maison de la Poésie

21 January 2010 | PAR Yaël Hirsch

Condamné à 2 ans de travaux forcés à la suite du procès perdu contre le père de son amant, Lord Alfred Douglas, Oscar Wilde a écrit en 1897, après sa sortie de Reading, cette ballade de protestation contre la peine de mort et les conditions pénitentiaires de l’Angleterre Victorienne. Jusqu’au 7 février, la mise en scène de ce texte bouleversant à la maison de la poésie souligne le caractère sacré de la dernière œuvre de Wilde.

Thierry-Cohen-pour-la-compagnie-Celine-Pouillon
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Après avoir perdu son procès en diffamation contre le marquis de Queensberry et père de son amant Lord Douglas alias « Bosie », Oscar Wilde est condamné à 2 ans de travaux forcés pour sodomie. Il les passe à la prison de Reading, dans le Berkshire. C’est de cette prison qu’il écrit le fameux « De Pronfundis » à Bosie obligé de s’exiler. Et c’est en sortant de Reading qu’il écrit sa ballade, racontant l’exécution d’un autre prisonnier, Charles Thomas Woolridge, accusé d’avoir tué sa femme. Wilde publie ce texte en 1898, sous son matricule de prisonnier C.3.3. A la fois description réaliste des conditions de vie à Reading, et peut-être plus grand plaidoyer littéraire contre la peine de mort avec « le dernier jour d’un condamné », de Hugo, la ballade de Reading est aussi par moment une contemplation mystique d’un Wilde qui dit avoir trouvé son âme en prison.

La mise en scène de Céline Pouillon tire le texte vers cet aspect christique et inspiré. La jeune metteuse en scène répartit la récitation entre deux comédiens, transmués en Christ et Vierge. Ceux-ci commencent à dire le texte, hagards et mi—nus comme dans une scène de jugement dernier, pour le terminer en formant une piéta, comme si les mots les avaient purifié leur âme prête à s’envoler pour le paradis. L’inquiétante musique – sublime, mystique et spirituelle- de Siegfried Canto ainsi que la manière dont la scène est plongée dans la pénombre jusqu’à l’illumination finale, viennent encore renforcer l’aspect chrétien du texte de Wilde. Les deux comédiens sont habités par le texte de Wilde et ils font traîner chaque mots comme un bonbon ou un cachet de cyanure, marquant à grand renfort de langue chaque consonne. Le texte est grave et parle pour lui-même, et peut-être la grandiloquence de cette récitation n’était-elle pas nécessaire. Stanislas Nordey (on ne présente plus ce comédien, qui a joué les plus grands rôles du répertoire classique à la Colline, au TNB ou au Rond-Point, mais aussi avec des grands contemporains comme Wajdi Mouawad, ou Jean-Luc Lagarce)est comme toujours en tension, et son débit semble même douloureux, tellement il vit l’emprisonnement. Plus légère et très juste dans son rôle de Madone qui sourit dans la douleur, Julie Pouillon vient contrebalancer le martyre christique de Nordey avec grâce.

Un texte essentiel, à (re)découvrir dans la traduction originelle (1898) de Henry Davray (Mercure de France) et dans une version qui va au bout du sombre pour mieux faire valoir l’âme.

« La ballade de la geôle de Reading », d’Oscar Wilde, mise en scène Céline Pouillon, avec Stanislas Nordey, Julie Pouillon, musique Siegfried Canto, lumière Philippe Berthomé, durée : 1h00-1h15, jusqu’au 7 février, mer-sam 20h, dim 16h, Maison de la Poésie, Passage Molière, 157, rue Saint-Martin, Paris 3e, M° Rambuteau, Les Halles, 22 euros, (TR 17 et 12 euros, pass-poésie : 8-12 euros), réservation au 01 44 54 53 00

“Pourtant chacun tue ce qu’il aime,
Salut à tout bon entendeur.
Certains le tuent d’un oeil amer,
Certains avec un mot flatteur.
Le lâche se sert d’un baiser,
Et d’une épée l’homme d’honneur.

Certains le tuent quand ils sont jeunes,
Certains à l’âge de la mort,
L’un avec les mains du Désir,
Et l’autre avec les mains de l’Or.
Le plus humain prend un couteau :
Sitôt le froid gagne le corps.

Amour trop bref, amour trop long,
On achète, on vend son désir.
Certains le tuent avec des larmes
Et d’autres sans même un soupir.
Car si chacun tue ce qu’il aime,
Chacun n’a pas à en mourir”.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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