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Igor Mendjisky, sur son spectacle “Gretel, Hansel et les autres” : “L’idée du spectacle m’est venue en regardant ma fille jouer”

Igor Mendjisky, sur son spectacle “Gretel, Hansel et les autres” : “L’idée du spectacle m’est venue en regardant ma fille jouer”

22 December 2022 | PAR La Rédaction

 

La rédaction, représentée par Julia Wahl et Maï-Linh Tang Stievenard, a pu échanger avec Igor Mendjisky sur ses inspirations à l’œuvre dans son très beau Gretel, Hansel et les autres. L’occasion d’aborder les rapports entre frères et sœurs, mais aussi les préjugés de genre.

Par Julia Wahl et Maï-Linh Tang Stievenard.

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le conte de Hansel et Gretel ?

Ce qui m’a intéressé dans un premier temps, c’est la fraternité de ces deux-là. C’était important de montrer comment on peut faire un transfert de repère sur sa sœur ou sur son frère. J’ai grandi avec une sœur jumelle et je crois que ça a été un repère très fort pendant toute mon enfance. Je me suis penché sur Hansel et Gretel d’abord à cause de ça.

Dans votre proposition, nous avons une fraternité qui est parfois fusionnelle et parfois conflictuelle. De quelle manière cela a-t-il été réfléchi ?

C’est en observant mes enfants. J’ai une fille et un garçon et je trouve très beau de voir à quel point ils peuvent s’aimer très fort et parfois aussi se détester.

Pourquoi avoir mis comme titre Gretel, Hansel et les autres et non pas Hansel, Gretel et les autres ? C’est par rapport à votre vie personnelle, à votre sœur jumelle ?

C’est parce que j’ai une fille aînée et que c’est clairement elle. J’ai vraiment écrit pour Lila en me disant ce sera Lila ma Gretel.

C’est un joli cadeau ! A propos de cette question d’inversion des prénoms, cela coïncide également avec une inversion des genres qui va à l’encontre de la représentation iconique qui veut que ce soit les garçons qui prennent les rennes. Jusqu’à quel point cela est-il réfléchi ?

C’était important pour moi d’inverser un petit peu les rôles et de dire que c’était la fille qui menait la route et le chemin. Pas forcément du fait de son âge, mais parce que dans les contes, c’est quand même souvent les garçons qui ont le rôle principal. Quand je montre un dessin animé à ma fille, j’essaye de lui montrer des dessins animés où c’est aussi la fille qui entreprend les choses.

Est-ce qu’on arrive à en trouver facilement, des dessins animés comme cela ?

Pas tant que ça. Il y a Rebelle peut-être… Parfois plus dans les dessins animés japonais comme Kiki la petite sorcière, La princesse Mononoke… Tout ça, ce sont des personnages féminins forts. Mais bon, la plupart du temps, les personnages de filles, ce sont des princesses qui n’ont pas grand-chose à dire quand même.

Et alors, comment comprendre le rose et le bleu très marqué de la scénographie?

Le rose et le bleu, c’est une réflexion qu’on a eue avec ma scénographe. On s’est dit qu’il fallait que ça ressemble à une chambre de petits-bourgeois pensée par un architecte d’intérieur. Assez logiquement, on s’est dit qu’un architecte d’intérieur qui devait faire une chambre pour petits-bourgeois allait faire rose et bleu. Je voulais que ça ressemble à ça une chambre pensée par un architecte d’intérieur plus que par eux-mêmes.

Peut-on parler à propos de votre spectacle de parodie de thriller policier ?

Oui, évidemment. Pour tout vous dire, je regardais True détective pendant que j’écrivais et je me suis largement inspiré de ça en pensant aux parents. Je me disais qu’il fallait que ça ressemble à un polar pour les enfants mais aussi que les parents s’y retrouvent avec ce qu’ils regardent, eux, de leur côté. Je me suis largement inspiré pour le générique de la première saison de True détective.

Comment avez-vous géré le contraste entre le sérieux de votre interprétation et le comique de vos personnages ?

Honnêtement, c’est une continuité de ce que je fais avec mes enfants quand je joue avec eux dans leur chambre. Je fais ce que je fais dans le spectacle, c’est-à-dire que je prends des peluches et je leur raconte des histoires sérieusement. Comment faire pour qu’on croit à l’histoire et en même temps s’amuser complètement ? Parce que ça reste des peluches et prendre une voix c’est toujours rigolo. Même si les personnages sont hauts en couleur ou marqués, si nous on y croit le spectateur y croit.

Est-ce que la partie qui s’adresse aux adultes, avec le côté parodique et satirique, ça a fait l’objet de réécriture ou ça a été dans les tuyaux dès le début ?

Ça a fait l’objet d’un chemin dans l’écriture, c’est-à-dire que j’ai écrit une première version très ludique vraiment pour ma fille et une fois que cette chose-là fonctionnait, je me suis dit : « Bon, maintenant, comment on travaille sur une seconde lecture pour que les parents qui emmènent leurs enfants puissent aussi y trouver leur compte ? » Là, ça a été très long, parce que, d’un coup, il faut faire plein d’allers retours entre le parent que je suis, mon enfant et l’enfant que j’ai été. Ça devient complexe parce que, dès qu’on écrit des gros mots, on se demande si on peut vraiment écrire des gros mots alors qu’il y a des enfants, quand on écrit une métaphore on se demande si elle sera comprise par l’enfant et par l’adulte… Tout ça, ça a été un drôle de chemin. Ça a été un chemin d’écriture sur lequel ma dramaturge Charlotte Farcet m’a fort accompagné.

 Peut-on alors dire que c’est une pièce qui s’adresse autant aux adultes qu’aux enfants ? Est-ce que cela permet de réveiller l’enfant qui sommeille en chaque adulte ?

J’espère. J’avais rencontré le directeur du Grand Bleu, qui m’avait dit : « Pour moi, un spectacle jeune public réussi, c’est un spectacle pour adultes à partir de 7 ans. » C’est ce que j’ai tenté de faire.

A propos de la question de l’âge de du public, j’avoue avoir été surprises, lors de la première, de voir des collégiens, plutôt des quatrièmes-troisièmes que des sixièmes de surcroît. Est-ce que vous avez pu avoir un retour avec cette tranche d’âge ? J’ai toujours l’impression qu’ils sont dans un entre-deux, la partie jeune public à proprement parler ne leur parlant plus trop et avec un aspect satirique et parodique qui ne leur est pas forcément évident.

C’est assez étrange, parce que ça dépend vraiment des classes. Je ne sais pas pourquoi, parfois on a des classes qui rentrent complètement dedans et d’autres qui sont inspirées par une énergie commune de collégiens blasés. Ça dépend de l’énergie de la classe. Certainement les collégiens ou lycéens qui ont des petits frères ou des petites sœurs rentrent plus dedans, parce qu’ils voient leur petit frère ou leur petite sœur ou eux-mêmes quand ils étaient quelques années auparavant. Après, c’est sûr qu’il y a une sorte de cible entre 7 et 11 ans, où c’est vraiment pour eux. Et après, peut-être à nouveau à partir de 16 ans, où ils arrivent à ré-avoir un regard joyeux sur leur enfance, alors que vers 14-15 ans, on se dit qu’on en a marre de la vie et des parents, donc c’est plus difficile.

Cette immersion dans le conte est-elle permise par le syncrétisme des formes théâtrales ? Vous utilisez le cinéma, la musique, les arts plastiques… Tout cela vient d’où ?

Tout ça vient aussi de moi, de ce avec quoi j’ai grandi : j’avais un père qui était artiste-peintre, donc j’ai fort grandi avec la peinture et le dessin. Après, l’idée du spectacle m’est venue en regardant ma fille jouer. C’est pour ça qu’il y a des jouets, que ça se passe dans une chambre : j’avais envie de dessiner une forme protéiforme, parce que, eux, leur manière de jouer est complètement protéiforme. Les enfants peuvent vraiment jouer avec tout et n’importe quoi. Je crois que cette chose-là ouvre une grande porte au travail de l’imagination.

J’ai été marquée par la forme de la maison qui apparaît dans la scénographie à différentes échelles. Ça donne presque l’impression que c’est le sujet principal du spectacle, qui est aussi une forme de havre à certains moments mais aussi une prison… Quelle est la réflexion qui a sous-tendu ce travail ?

C’est drôle, parce que, au début, je ne pensais pas nécessairement mettre de maison et, quand on a échangé nos dessins avec Anne-Sophie Grac, elle imaginait cette chose-là. On a mis du temps aussi à trouver la matière avec laquelle on allait la dessiner, cette maison. Le tissu, au début, était plus opaque, plus dur, si bien que ça la rendait trop présente au plateau. Quand on a trouvé ce tissu bleu sur lequel on projette ce qu’il y a au centre, on s’est dit « on va essayer avec ça, qui fait une sorte de transparence comme un tulle », et qui la rendait plus légère. On pouvait projeter aussi sur cette maison et, du coup, se dire qu’elle pouvait exister et disparaître. Après, j’ai demandé à ma fille de faire ses dessins où elle a dessiné la médiathèque, le commissariat, l’école… Pour tout vous dire, je n’y ai pas complètement réfléchi à cette chose-là, c’est un peu venu de manière inconsciente.

Les maisons sont disposées un peu partout sur le plateau : est-ce un choix conscient de créer comme un mini village ?

Oui, oui, complètement. On a mis du temps à les trouver, toutes ces maisons. On avait vraiment vraiment envie de dessiner un village miniature et que soit associé à chaque scène, à chaque maison. Quand on est à la médiathèque, c’est la maison de la médiathèque qui s’allume, quand on est à l’école, c’est la maison de l’école qui s’allume, quand la maire du village parle, d’un coup, tout le village s’allume…

Avez-vous d’autres projets en cours ?

On part en tournée avec Hansel et Gretel et Les Couleurs de l’air, je pars dans l’écriture d’un film autour des Couleurs de l’air… Après, je joue en mai-juin avec Michel Vuillermoz une pièce qui s’appelle Masterclass et en août, a priori, je vais monter une adaptation de 1984 avec le théâtre de Pristina au Kosovo avec le théâtre national de là-bas.

 

Crédit photo : ©Matthieu Dortomb

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