
« Henry VI » : une grande pièce, servie par une mise en scène prenante
L’entreprise fleuve est enfin là, réalisée. Onze heures et demie de spectacle (sans compter les entractes). Risquez-vous-y : la mise en scène de Thomas Jolly sait rendre prenante, tout du long, cette grande peinture d’un XVème siècle sanglant.
Le défi était de taille. On doit le prendre en compte. Force nous est de reconnaître, au final, que ces onze heures et demie de représentation sont vibrantes. Qu’on s’attache au destin de ce monarque anglais, et à ses luttes permanentes pour arriver à être roi, dans un XVème siècle tumultueux. La guerre contre les français : Orléans, le dauphin Charles VII, et Jeanne d’Arc ; l’abandon par l’Angleterre de possessions importantes à la France ; la guerre intestine au cœur de la cour, qui verra émerger l’ennemi Richard Plantagenêt ; et la sanglante Guerre des Deux-Roses. Autant de situations décrites avec lyrisme et humanité par William Shakespeare. Au fil de scènes dans lesquelles la durée reste essentielle, tant elle donne à sentir l’éternel travail de conquête du trône de nos personnages.
Une pièce grande et belle, donc. Et une mise en scène de Thomas Jolly dont la plus belle qualité reste sans aucun doute son rythme. On ne cesse pas, au fil des huit parties, d’être pris par ces luttes. Chaque protagoniste marque. La durée a son importance : le passage où Jack Cade (Nathan Bernat) tente de soulever le peuple atteint à la puissance et au lyrisme du fait de sa longueur. Et au bout d’un moment, on est tenté de faire résonner la pièce avec des situations politiques actuelles. La musique enregistrée, elle, fait pendant au décor épuré, où le peu d’éléments suffit à suggérer admirablement.
Parfois, le jeu en force dure trop, chez certains interprètes. Et les gestes brusques et les coups donnés finissent par déranger. Mais la troupe a de la ressource, et participe de l’excellent rythme. Ainsi, Flora Diguet, déchaînée dans le rôle de Jeanne d’Arc, sait instantanément passer de l’entrain à l’émotion, lorsqu’elle demande au duc de Bourgogne (Johann Abiola) de contempler l’état de son pays, qu’il est en train de trahir.
Au premier rang de nos comédiens, Eric Challier s’impose, en Richard Plantagenet à l’humanité touchante, que l’on voit évoluer au fil des parties. Jean-Marc Talbot, dans le rôle de Lord John… Talbot, impressionne aussi. Notamment lors de son dialogue avant la mort avec son fils (joué par… Thomas Jolly lui-même). Dans le rôle d’Henry VI, Thomas Germaine, lyrique à souhait, empoigne sa partition avec une ardeur communicative. A leur suite, on traverse l’histoire. Et on est bien content de voir, à l’issue des dix premières heures, une salle pleine et des spectateurs qui tapent du pied, impatients de connaître la fin. Vous aussi, « faites »-le.
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Henry VI, de William Shakespeare. Mise en scène de Thomas Jolly. Avec Johann Abiola, Damien Avice, Bruno Bayeux, Nathan Bernat, Geoffrey Carey, Gilles Chabrier, Eric Challier, Alexandre Dain, Flora Diguet, Anne Dupuis, Antonin Durand, Emeline Frémont, Damien Gabriac, Thomas Germaine, Thomas Jolly, Nicolas Jullien, Pier Lamandé, Martin Legros, Charline Porrone, Jean-Marc Talbot, Manon Thorel. Assistant à la mise en scène : Alexandre Dain. Traduction : Line Cottegnies. Durée du spectacle, entractes non compris : 11h30. Temps de présence total nécessaire : 17h. Jusqu’au 17 mai au Théâtre de l’Odéon, Ateliers Berthier, uniquement les week-ends (horaires : samedi, de 14h à 22h30 + dimanche, de 14h à 22h30).
Visuels : © la Piccola Familia