Théâtre
“Daddy”, le teen-movie révolutionnaire de Marion Siéfert

“Daddy”, le teen-movie révolutionnaire de Marion Siéfert

18 May 2023 | PAR Amelie Blaustein Niddam

Marion Siéfert met en scène Daddy au Théâtre de l’Odéon jusqu’au 26 mai. Ce texte écrit avec son acolyte Matthieu Bareyre est une folie pure. Ce spectacle, qui nous parle de la séquestration des adolescentes, est une leçon de théâtre, sur le fond et la forme. Vraiment génial.

“Je suis un papa qui tape”

Nous avions quitté Marion Siéfert face à l’écran de _Jeanne_Dark. Une pièce qui se déroulait en direct sur Instagram, un “live“. Nous regardions Helena de Laurens camper Jeanne, 16 ans. Elle interagissait avec de vrais internautes pour le meilleur et le pire. La question de l’adolescence est au cœur du travail de Marion Siéfert, qui a déjà exploré l’idée de grandir dans Le Grand sommeil. Pour Daddy, le sujet est le même. Il s’agit de plonger – dans des précipités de lumière à couper le souffle – dans la descente aux enfers de Mara, 13 ans. Daddy s’ouvre sur une séquence numérique, en apparence anodine. Un jeu vidéo. On découvre Candy66 en pleine course avec un autre joueur. Pour le moment, c’est léger et fascinant. Quand l’écran disparait, une famille est installée, bien calée sur la terrasse. Nous sommes à Perpignan. L’accent est chantant, la mère dit que “ça détend, l’accent”. Cela rend les sujets moins graves. Elle bosse en 3-8 à l’hôpital comme infirmière, c’est sa “vocation” ; le père est agent de sécurité, aux ordres d’un patron qui méprise le droit du travail. Il y a l’oncle “Toto”, descendu de Paris, passé boire l’apéro ce soir. Les discussions tournent autour de la parentalité, plus précisément de la paternité. Toto dit qu’il est “un papa qui tape”. Les poncifs se déchaînent sur le monde d’avant et sur les filles d’aujourd’hui qui “ne parlent qu’en iel”. La parodie de comptoir est parfaite. Les trois adolescentes de la famille rejoignent la table. Elles négocient pour leurs sorties, la plus jeune, Mara, s’exfiltre, elle monte dans sa chambre, et branche son Discord.

“Mon vrai corps dans un monde virtuel”

Daddy est une histoire d’emprise. Mara, jouée par l’éblouissante Lila Houel, 15 ans, tombe dans les filets de Julien, magistral Louis Peres, 27 ans, sur scène et dans la vie. Sans trop vous en dire, la machination se met en place avec dextérité, la route vers le viol est tracée. Marion Siéfert choisit le temps long, la pièce dure 3h30, pour nous faire sombrer avec elle. Sans cesse, la pop culture s’invite. Les références aux clips, aux séries et au cinéma sont légion. Mara se retrouve coincée dans un jeu de rôle pervers. On y croise des références à Rihana, à Twilight ou Games of Thrones. Exactement comme dans Le Consentement de Vanessa Springora ou dans Chavirer de Lola Lafon, cette jeune fille est prise au piège d’un prédateur sexuel qui avait l’air gentil au départ. Marion Siéfert montre comment cela est possible. Ce n’est pas la première à tenter de défaire les rouages d’un grand méchant loup, mais elle, elle y arrive.

Pour nous assoir dans le drame, elle ouvre haut les espaces du théâtre pour que la lumière de Manon Lauriol opère. La scénographie tout en fausse neige et en rideaux de Nadia Lauro est un monument. Les costumes de Romain Brau font évoluer l’histoire, d’une comédie légère à un drame. Daddy joue le jeu du théâtre. Nous y sommes totalement, au-delà même du raisonnable. Les temps sont distordus, les chansons sonnent un peu faux, la neige tombe, tombe trop longtemps, la musique de film d’horreur est presque belle, la rupture du 4e mur déborde. Daddy est un monstre dans l’histoire, Daddy est un monstre de talent comme spectacle. Marion Siéfert dit dans l’interview qu’elle a donnée à l’Odéon : “C’est une pièce qui carbure à un régime de fiction très haut, mais qui est gorgée de réel”.

Daddy est brillant, d’une modernité à couper le souffle, d’une beauté tonitruante. Il révèle des comédiens et des comédiennes éblouissants. Un choc.

Avec Émilie Cazenave, Lou Chrétien-Février, Jennifer Gold, Lila Houel, Louis Peres, Charles-Henri Wolff.

Visuel : © Matthieu Bareyre

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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