
Hans was Heiri : Le monde à l’envers de Zimmermann et de Perrot au Théâtre de la Ville
Zimmermann et de Perrot reprennent Hans was Heiri, un joli succès de la saison 2011/2012 du Théâtre de la Ville. Un monde où dans le miroir les opposés se ressemblent, où les tables tiennent avec des pieds en moins, où le bruit de la foule est mixé en live. Un monde de parfaite illusion.
Dans la note d’intention du spectacle, les suisses Dimitri de Perrot et Martin Zimmermann balancent “Nous aimons les choses, les objets, ce sont pour nous des êtres vivants” ou “Nous bravons la douleur physique”, “Nous sommes extrêmement consciencieux et minutieux”, “Nous allons à fond la caisse”, “Sueur et larmes, bonheur et poisse”. Et ? C’est à peu près un résumé parfait de ce spectacle de cirque aux ficelles si classiques qu’elles en deviennent troublantes de génie.
Dans ce décor tout en bois, où une maison à quatre pièces va bientôt se mettre à tourner comme une roue de la fortune urbaine, les artistes entrent en scène, mi hommes, mi marionnettes. Aux platines Dimitri de Perrot envoie du gros son, mixe les bruits de la ville comme les tubes des Beatles. Pendant qu’il remplit nos oreilles, l’espace se pare de drôles d’énergumènes. Mais qu’est-ce que ces gens peuvent avoir en commun ? Entre la petite brune, la longue rousse, l’adolescent à casquette, un monsieur tournesol, un majordome et un hipster, quel est le fil ?
Ceux-là paraissent simplement déambuler avec leur solitude avant de rencontrer un autre qui est absolument différent en apparence mais semblable en réalité. En résultent des jeux de miroirs décalés, des ponts qui s’enchâssent ou une passion commune pour un cours de yoga qui restera culte. Chercher le sens est toute la gageure de ce spectacle ou par définition tout est sens dessus dessous. Dans ce Tohu-Bohu rafraichissant, les circaciens défient l’apesanteur et les limites de leur corps. Les pieds deviennent les mains, le dos un ressort, les sons des mots.
C’est l’occasion de retrouver Mélissa Von Vépy méconnaissable en rousse flamboyante. On l’avait quitté blonde comme les blés occupée à malmener un miroir suspendu, le corps saignant. La trapéziste performeuse n’en rate pas une ici, passant d’une rigidité hilarante à un numéro de voltige sans filet époustouflant. Le reste de la bande est à pleurer de talent : la contorsionniste Methinee Wongtrakoon aura fait éclater de rire la salle blindée du Théâtre de la Ville avec un tour à l’ancienne en se cachant dans une toute petite boite qui se met à bouger sans que l’on ne l’ait vu arriver. Ils sont tous en caoutchouc : Dimitri Jourde, Tarek Halaby (le fameux prof de yoga), Gaël Santisteva et Martin Zimmermann. Les français tous diplômés du Centre National des Arts du Cirque, Tarek Halaby est passé par le P.A.R.T.S et Methinee Wongtrakoon par le Cirkuspiloterna de Stockholm. Il y a du gros niveau et aucune prétention.
Ils naviguent sans filet, dans une exigence du geste total. Le clown est une affaire sérieuse, ils ne cherchent pas à nous entourlouper et c’est sans relâche et sans facilité qu’ils viennent enchainer des saynètes qui ne font sens que… dans leur absurdité.
C’est dément, c’est réjouissant, c’est sincère. Allez-y !
Visuel © Mario Del Curto / Strates