Théâtre
“Fais moi mâle” ou le genre de la violence

“Fais moi mâle” ou le genre de la violence

19 September 2019 | PAR Mathieu Dochtermann

Cet été le festival RéciDives accueillait, sous la forme de parcours, quatre formes courtes faisant appel à la marionnette ou au théâtre d’objets. On y découvrait Fais moi mâle, un spectacle de marionnette sur table de la compagnie La Mue/tte, qui est en fait une préfiguration de sa prochaine forme longue. Avec l’esthétique soignée et la manipulation précise qui sont la marque de la compagnie, des corps transformés, ambigus, inquiétants, pour dire la propension à la violence tapie au fond de la psyché mâle. Fascinant même s’il tient (nécessairement) pour l’instant plus d’un collage d’images qu’un spectacle abouti.

Fais-moi mâle de la compagnie La Mue/tte a ceci de très particulier qu’il s’agit de la préfiguration d’une forme longue à venir, intitulée Battre encore, attendue pour 2020. Cette proposition doit donc être abordée avec l’idée qu’elle constitue une étape de travail, plutôt qu’un geste dramaturgique complet. A condition de le voir par ce prisme, il indique des pistes qui devraient s’avérer passionnantes.

Une première partie utilise une combinaison d’objets et de marionnettes sur table. Sur une petite surface vivement éclairée par des sources intégrées, un tapis aux longs poils rouges apparaît jonché de (vraies) fleurs coupées au milieu desquelles trône un fauteuil d’une quinzaine de centimètres. Entrent en jeu jouets en forme de cochons, marionnette (réaliste jusqu’aux poils) d’un homme miniature et marionnettes (diversement surréalistes) de femmes.

A mesure de la progression du spectacle, le malaise croît, la violence sourd, sur fond de Fais-moi mal Johnny. De charmeur, l’homme devient inquiétant, bestial, rageur. La couleur rouge domine clairement le spectacle. Couleur de la passion amoureuse sans doute, mais ici surtout couleur du sang et de la violence, le rouge de la cape du torero. La marionnettiste, Delphine Bardot, même silencieuse, a une présence troublante: debout derrière la table, habillée et maquillée d’écarlate, elle apparaît démesurément plus grande que la marionnette d’homme qu’elle manipule.

Certaines images sont aussi fortes que claires – décapitation, fantasmes rêvés. Cependant, faute sans doute de pouvoir être développées dans le jeu, d’autres manquent pour l’instant un peu de lisibilité – l’omniprésence des cochons, sans doute un symbole de pulsions primaires, en même temps que commentaire ironique sur l’incapacité de l’humain à se voir autrement qu’infiniment supérieur à cette part d’animalité qui l’habite pourtant.

La seconde partie rompt techniquement avec la première, même si elle reprend le visage de la marionnette de l’homme, pour le transposer à l’échelle humaine, et l’apposer sous forme de masque sur le corps de Delphine Bardot. Cette dernière accueille donc sur son tronc le signe de la personna du mâle pulsionnel à la violence mal contenue. La métamorphose du corps de la comédienne marionnettiste, saisissante, permet de créer un être étrange, à la nature duale, dont on devine qu’il va être déchiré par le conflit entre le féminin et le masculin.

Ce solo aux images fortes, qui n’est pas dénué d’une forme de poésie, s’intéresse autant à l’animalité du mâle qu’au corps de la femme, corps convoité, brutalisé, envahi, métamorphosé, dévoré même peut-être ?

On est curieux de découvrir la forme définitive de cette recherche sans fard sur les violence faites aux femmes.

Telle qu’elle est, avec ses jeux d’échelle et son utilisation de la musique, avec sa manipulation précise et son ambiance trouble, la proposition que constitue Fais moi mâle est déjà un beau morceau à découvrir.

Le spectacle sera accueilli pendant le festival de Charleville dans le OFF, à la Cour UD CGT (21 rue Jean Baptiste Clément, 08000 Charleville-Mézières) du 21 au 28 septembre à 14h15.

 

Distribution
Conception, jeu : Delphine Bardot
Regard extérieur : Santiago Moreno
Visuel: ©Catherine KOHLER

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Mathieu Dochtermann
Passionné de spectacle vivant, sous toutes ses formes, des théâtres de marionnettes en particulier, du cirque et des arts de la rue également, et du théâtre de comédiens encore, malgré tout. Pratique le clown, un peu, le conte, encore plus, le théâtre, toujours, le rire, souvent. Critère central d'un bon spectacle: celui qui émeut, qui touche la chose sensible au fond de la poitrine. Le reste, c'est du bavardage. Facebook: https://www.facebook.com/matdochtermann

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