
Dom Juan à la Comédie-Française : pour les acteurs !
Décidément Molière ne sort pas particulièrement gâté de cette rentrée théâtrale. Après le Tartuffe dépassionné de Marion Bierry (voir ICI), c’est la nouvelle production de Dom Juan à la Comédie-Française qui déçoit. Les acteurs ne sont pas en cause, le couple que forment Loïc Corbery, flamboyant dans le rôle du mythique libertin, avec le génial Sganarelle de Serge Bagdassarian, donne du relief à la mise en scène sans grand éclat de Jean-Pierre Vincent.
La mise en scène paraît inexistante au démarrage (au cours duquel les comédiens restent souvent postés à l’avant-scène, statiquement) et se déploie véritablement à partir de l’acte II. Elle ne reste qu’une mise en images classique et plutôt littérale qui oscille entre stylisation (un grand carré de couleur rouge suffira à évoquer de manière abstraite le désir, le théâtre ou l’enfer, chacun y projettera ce qu’il veut) et kitsch d’opéra (l’entrée du commandeur). Finalement le seul parti pris de Jean-Pierre Vincent est d’avoir osé modifier la fin, ce qui après trois longues heures relativement convenues passe pour une trahison impardonnable. Pas de damnation pour le héros éponyme que l’on croit mort un temps avant de le voir curieusement reprendre vie et chemin. Plus qu’un pied de nez provocateur de la part du metteur en scène, le fait est révélateur du manque de profondeur métaphysique et transcendantale de la nouvelle version de la pièce qu’il propose, et ce, en dépit d’un ciel grondeur et menaçant en vain à chaque fois qu’il est mentionné dans le texte.
Plus encore que les sympathiques paysans (Julie Sicard et Jérémy Lopez sont très bien), le personnage de Sganarelle, dont le costume rappelle davantage celui du « Médecin malgré lui », serait tiré vers la tradition de la grosse farce si son fabuleux interprète Serge Bagdassarian n’avait la subtilité qu’on lui connaît. Il campe un doux et drôle de raisonneur, piqué au vif mais bienveillant. Enfin, même emperruqué et enrubanné, le Dom Juan de Loïc Corbery est jeune et beau, passionné, absolument libre, sans foi ni loi. Sa juvénilité bouillonnante, son assurance inébranlable, l’impulsion avec laquelle il bondit et rebondit, tout est juste dans son interprétation. Et c’est bien le choix de cet acteur remarquable qui renouvelle lui-seul l’approche de la pièce, et pas franchement les effets esthétisants un rien maniérés de Jean-Pierre Vincent. « Tout le plaisir de l’amour est dans le changement » dit Dom Juan. Au théâtre, c’est pareil et on aurait assurément aimé davantage si le metteur en scène avait suivi ce précepte .
Photo © Brigitte Enguérand