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Ethno-roman : Tobie Nathan livre des mémoires divinement peu egotiques

Ethno-roman : Tobie Nathan livre des mémoires divinement peu egotiques

24 September 2012 | PAR Yaël Hirsch

L’ethno-psychiatre et écrivain (voir notre critique du roman Qui a Tué Arlozorov?) Tobie Nathan livre chez Grasset un récit joyeux et en pointillés de sa vie. Un livre plein de joie, de portraits réussis d’intellectuels des années 1970 et une défense très personnelle mais jamais égotique de l’ethnopsychiatrie, discipline qui fait appel à l’ethnologie et qui interroge le milieu culturel des sujets pour mieux engager  le processus de thérapie. Sortie le 12 septembre 2012.

Né dans une famille juive et de culture déjà marxiste en Égypte après la Deuxième Guerre mondiale, Tobie Nathan est encore enfant quand ses parents doivent quitter précipitamment leur pays, qui expulse ses juifs. Il fait alors le parcours classique de l’immigré d’Afrique du Nord sans moyens financiers en France : cages à lapins de banlieues où sa famille s’entasse tandis-que son père tente de trouver de quoi faire bouillir la marmite. Situation de précarité de laquelle il ne garde pas un souvenir traumatisant… Il a exactement 20 ans en Mai 68 et lit Freud essai après essai sans pouvoir reprendre son souffle. Alors que l’inflexibilité de doctrines marxistes de certains camarades l’éloigne de toute velléité politique, il désire néanmoins compter pour son temps. C’est la rencontre avec l’anthropologue et psychanalyste, fondateur de l’ethnopsychanalyse qui change le cours de sa vie. Pendant dix ans, ce dernier le suit tandis-que Tobie Nathan rédige sa thèse. Une fois diplômé, il rompt bien malgré lui avec son maître aux affinités sautillantes et au caractère difficile pour créer un département d’ethnopsychiatrie à Bobigny, ville aux communautés  diverses qui est le lieu idéal pour tester les vertus de cette nouvelle discipline…

Avec beaucoup de joie d’écrire et de goût pour la vie, Tobie Nathan livre des mémoires à la fois conventionnels (sa trajectoire de vie) et originaux : la vocation d’ethnopsychiatre de cet intellectuel, le pousse à préférer se décrire évoluant au sein de sa famille juive ou dans le milieu de la psychiatrie française des années 1970, plutôt que de livrer un exercice égotique de success-story personnelle. le résultat livre  des clés intéressantes pour comprendre l’homme mais aussi les milieux qui l’ont forgé. Se risquant par exemple  à défendre le communautarisme de certains noyaux d’immigrés comme les juifs Égyptiens qui s’entraidaient “entre-eux” à l’arrivée de nouveaux venus en France est courageuse à l’heure où de tels “enfermements” dans la communauté sont décriés de toutes parts. Plus qu’une histoire éducation intellectuelle et sentimentale, le livre est donc une défense philosophique et humaine de la discipline que Tobie Nathan a contribué à forger. Si bien que le texte est lardé d’épisodes cliniques, qui ont pour originalité d’être aussi des fragments de voyages, puisque l’ethnopsychiatre est aussi ethnologue et est allé rencontrer ses patients un peu partout dans le monde.

Tobie Nathan, Ethno-roman, Grasset, 382 P., 19.50 euros. Sortie le 12 septembre 2012.

Mais certains adultes- je crois que c’étaient les plus mûrs et les plus accomplis- organisaient leur univers pour nier l’exil. elle, je la reconnais comme mon double en nostalgie.Nous l’appelions “la tante G.”, parce qu’elle était réellement la tante de l’un d’entre-nous. Elle avait décidé de vivre en France comme elle vivait au Caire, une vie de discussions perpétuelles autour d’un whisky en tapant le carton. la journée, elle s’occupait tant bien que mal de sa maison et de ses trois enfants. mais quand arrivait le soir, c’est alors que commençait la vraie vie. Un taxi venait la chercher pour la conduire au casino d’Enghien. Elle y retrouvait d’autres Egyptiennes, comme elle, mais aussi des Algériennes et des Tunisiennes. Elle y passait la nuit entière, rentrant à l’aube, le visage et les vêtements fripés, quelquefois reconduite par un galant occasionnel. Pour supporter la situation, son mari faisait taxi de nuit.” pp. 277-278.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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