
Des racines qui explorent avec délicatesse la travail de deuil
Poésie visuelle muette et sensible, Racines du ciel de Laura Elands (Théâtre de l’Heure Bleue) est au théâtre visuel ce que la caresse est au contact physique : un toucher doux et précautionneux, une attention qui est à la fois un effleurement et un émoi. C’est une très belle métaphore muette sur le deuil et le cheminement intérieur qui permet d’être en paix avec la disparition de l’être aimé. C’est plastiquement superbe, c’est très soigneusement mis en lumière, et l’interprétation est absolument juste. Une bulle de sensibilité offerte lors du Festival mondial des théâtres de marionnettes.
Sur scène, d’emblée, deux racines tombent du ciel – entendons par-là les cintres. De facture réaliste, elles se ramifient pour serpenter sur le plateau en un réseau complexe. Quand l’interprète entre en scène, elle découvre entre ses bras l’être aimé, qu’elle étreint avec douceur. Des baisers s’échangent, l’esquisse d’un pas de danse, jusqu’à ce que les corps se confondent presque. Mais la marionnette s’effondre bientôt au sol. Le mouvement lui avait donné la vie, mais elle est désormais morte, son masque inerte tourné vers les cintres.
Commence alors le travail de deuil, un travail muet et symbolique, qui va amener la marionnettiste à cheminer le long d’un parcours émotionnel qui sera figuré par un travail de masque, de théâtre d’ombre, de théâtre corporel également. Un chemin de réparation qui chemine au milieu des racines, qui sont la métaphore du monde souterrain des émotions et de l’inconscient, en même temps qu’elles indiquent la possibilité de la vie qui s’épanouit quelque part au-dessus. Le souterrain indique aussi le ciel dont il n’est que l’envers, par un effet miroir.
Jamais cette courte pièce n’est explicative, didactique ou prescriptive. Elle est toute entière tournée vers la sensation, avec la distance délicate mise par la métaphore, ce qui est une sage précaution quand on cherche à réveiller dans son public une empathie avec un personnage qui vient de perdre un être cher. On peut sans peine imaginer qu’il n’y a pas une personne dans le public qui ne puisse s’identifier au thème – bienheureuse la personne qui ne le pourra pas !
Le traitement est d’une poésie exquise. Avec beaucoup de douceur, Laura Elands passe d’une évocation à une autre, chemine entre ses tableaux, donne à sentir ce que son personnage traverse. La plastique du spectacle est fascinante et fantastique : les racines sont impressionnantes, le masque de la marionnette est superbe, et il n’en faut guère davantage pour figurer ce qui doit l’être. Des deux passages en théâtre d’ombre, on garde juste le sentiment que le second est un peu moins réussi, avec une source lumineuse trop visible qui blesse un peu le regard et fait des ombres moins nettes. C’est dommage, car il s’agit de la seule anicroche dans un spectacle autrement très travaillé.
Cette perle de poésie et d’émotion est à ne pas manquer. C’est un cadeau précieux que d’offrir un chemin aux spectateurs pour traverser en douceur le processus de guérison d’un être endeuillé…
GENERIQUE
Création, mise en scène et jeu : Laura Elands
Régie et création lumière : Boris Vandystadt
Création sonore : Isi Milton