Avignon OFF : L’Île, incursion féroce dans un monde (presque) ordinaire
Quel point commun entre des militants anticapitalistes, de jeunes loups de la pub, Friedrich Nietzsche et le mythe de Sisyphe ? Le collectif Bajour s’empare de l’absurdité de nos vies et s’amuse à croquer une société où l’homme perd jusqu’à son essence même et flirte avec ses instincts les plus bas. Jouissif et audacieux.
Serait-ce un asile psychiatrique ? Un camp de vacances sans âme type Club Med où tout est programmé d’avance ? Un lieu où l’on vous vend du rêve, et où les émotions n’existent plus? L’Île est un mélange de tout cela avec une dose de folie en plus. On y débarque tel un naufragé de sa propre existence, lessivé par sa vie d’aliéné, pour tenter de s’y reconstruire, tel un paumé des temps modernes. Les histoires de Greg, Leslie, Natacha, Amélie, Julien, Mathias s’y croisent et se confondent dans un jeu scénique astucieux fait d’allers-retours et de situations qui se font écho.
Cruellement drôle
On y croise pêle-mêle un N+1 de la start-up nation tyrannique qui humilie ses équipes, des militants écolo jusqu’au-boutistes dépassés par leur propre révolution, un philosophe à tendance érotomane qui s’écoute parler. Le capitalisme à outrance y côtoie la vacuité et la vanité d’un monde formaté et sans saveur.
Un monde où même ceux qui portent l’espoir du changement tombent dans un conformisme à base de slogans et de clichés. Où nos désirs toujours entravés doivent se contenter d’ersatz qui prennent la forme de réclames paradisiaques. Même l’amour y semble galvaudé et les rapports sexuels robotisés.
Le collectif Bajour, créé en 2015 par d’anciens élèves de l’École supérieure du Théâtre national de Bretagne, – dont la précédente pièce, Un homme qui fume c’est plus sain, présentée au festival OFF 2018, avait déjà ce mélange de drôlerie et de dureté – renoue avec des dialogues taillés au couteau et des personnages poussés dans leurs limites. On rit beaucoup dans ce nouvel opus, et on jubile à voir ces personnages embourbés dans leur propre absurdité. Le jeu des comédiens est porté par le collectif, on sent leur plaisir à jouer ensemble, et c’est communicatif.
Une pièce qui fait du bien après une période Covid frappée par le respect des règles et la bien-pensance, la catharsis marche à plein régime !
L’Île, du collectif Bajour, mise en scène Victor Emmanuel, à la Manufacture jusqu’au 25 Juillet, à 11 h 50. Durée 1h20.