Théâtre
Avignon OFF “Le corbeau blanc” de Donald Freed, l’impossible réparation de l’histoire

Avignon OFF “Le corbeau blanc” de Donald Freed, l’impossible réparation de l’histoire

13 July 2019 | PAR David Rofé-Sarfati

Le devoir de mémoire ne semble jamais se dissoudre car partout, de nouveaux populismes trempés dans l’antisémitisme, de gauche comme de droite, émergent. La souffrance aussi n’aura jamais de fin. La pièce Le Corbeau Blanc est captivante, elle est une gifle donnée à nos esprits endormis.

William Mesguich signe la mise en scène de la première adaptation française du texte de Donald Freed. Le texte fut traduit par la comédienne Nadège Perrier qui l’interprète avec Hervé Van Der Meulen. La pièce est ainsi la rencontre de grands talents qui sans pathos, combines ou effets de manche, aborde la catastrophe. Le texte refuse les atermoiements faciles. Les comédiens interprètent merveilleusement l’équivoque de la situation et nous posent la question:  peut-on pardonner à celui qui fut un monstre ? 

Été 1960. Adolf Eichmann est détenu à Jérusalem après son kidnapping en Argentine par le Mossad. À travers la confrontation entre l’ancien nazi et une psychologue israélienne, la pièce explore avec justesse les mécanismes qui ont abouti à la Shoah, tout en interrogeant notre capacité de résistance à la barbarie.  Au-delà de la personne de Eichmann il s’agit d’une parabole métaphorique de la circulation des questions et réponses sans fin entre le peuple allemand et le peuple Juif, représenté ici par l’israélien. Le texte est dense et édifiant. D’Adolf Hitler à Adolf Eichmann, chacun connait son ‘ils’, pronom indéfini et accommodant des réputés vrais responsables. Chacun a son rêve enfantin de gloire. L’intelligence est de conduire un procès à décharge contre Eichmann qui s’y défausse sans cesse. Hervé Van Der Meulen, qui incarne Eichmann, est glaçant lorsqu’il avoue qu’il aurait tué son propre père si un ordre le lui avait intimé. Il est génial lorsqu’il décrit cette administration nazie qui organise la solution finale en cloisonnant la responsabilité de chaque service. Il est grandiloquent lorsqu’il refuse le procès car seul Dieu le juge, disputant ainsi au peuple juif l’élection et le statut de bouc émissaire. Il est malicieux lorsqu’il griffe la psychologue en invoquant son sentiment de culpabilité de survivant.

Le texte est un trésor. Il se clôture par la phrase terrible : “notre souffrance n’aura jamais de fin”. Il ne sera jamais possible, comme l’écrivait le psychanalyste Jean Jacques Moscovitz de “réparer l’histoire”.

Entretemps allons voir et faire voir cette pièce poignante et essentielle. 

Le Corbeau Blanc

LUNA (THÉÂTRE LA)

1 rue Séverine
84000 – Avignon

Metteur en scène : William Mesguich
Interprète(s) : Nadège Perrier, Hervé Van der Meulen, Ou Alternance

 

©Visuel : Affiche de la pièce.

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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