A L’Etoile du Nord, Les bonnes de Genet veulent faire rire mais n’amusent pas
Voici une nouvelle mise en scène des Bonnes, le texte le plus joué de Jean Genet, qui n’aurait probablement pas apaisé les inquiétudes rétives de l’auteur dramatique décrit comme quelqu’un de particulièrement méfiant à l’égard de la fabrication du théâtre, fut-ce exécuté par un Louis Jouvet à la création en 1947 au Théâtre de l’Athénée ou un Roger Blin. A l’Etoile du Nord, la mise en scène est de Guillaume Clayssen. Sa lecture absconse ne rend pas justice à la densité, la subversion d’une telle œuvre, si complexe. Elle aurait mérité une approche plus humble et profonde plutôt que cette posture d’intello érotico masochiste qui tombe lourdement dans la vulgarité.
Le décor va dans le sens du réalisme indiqué par l’auteur, Delphine Brouard représente la chambre de Madame comme la bonbonnière d’une poule de luxe aux couleurs pastelles. Au centre de cet univers feutré et féminin trône une énigmatique statue à la poitrine proéminente offerte. Solange et Claire, au service de la petite bourgeoise, ont pris l’habitude de s’y introduire pendant que la patronne sort la nuit. Elles investissent son lit, son secrétaire, l’armoire, s’habillent avec ses robes. Les rôles s’échangent : Claire joue Madame, Solange joue Claire. Le jeu excite leur désir, leur haine, leur révolte face à leur condition subalterne, leur appétit de domination et de crime.
Le travail présenté se figure radical mais ne l’est pas, paraît à la place bien trop indiqué, surligné et faussement moderne. La mise en scène pêche tantôt par un premier degré qui débouche sur une plate illustration de ce qui est dit en projetant par exemple des vidéos de chaque élément cité (comme les gants ou le laitier) en objets fantasmatiques, de même, s’il est prononcé le mot « crachat » l’actrice crache, si des fleurs sont évoquées alors il y en a partout…, et tantôt, à l’inverse, par une trop grande mise à distance de la situation qui finit par échapper à force de dérision.
Les personnages sont dessinés à gros traits, la personnalité des sœurs n’est pas creusée. Habillées à l’identique dans une blouse marron hideuse de nonnes, elles apparaissent interchangeables tandis que Madame est toute jeunette et prend les allures de la Marie-Antoinette de Coppola ; c’est bien sûr un principe dramaturgique volontaire et signifiant mais forcément réducteur. Les trois actrices ne sont pas convaincantes notamment à cause du maniérisme dans la gestuelle et surtout dans l’élocution. Pourquoi prendre la pose, contrefaire les voix, faire un sort à chaque mot, elles disent « tilleueueul » ou “Madaaame” comme au vaudeville, on se surprend à se croire à l’opérette en entendant les r roulés ou l’insistance systématique sur les e muets ; c’est surement de l’humour, une parodie ridicule d’on ne sait quoi, dans le but bien vain de susciter à tout prix un rire creux en dépit du sens qui nous est refusé. Le jeu est excessif, outré, n’effleure pas une seconde la noirceur de la pièce, encore moins sa dangerosité, demeure insensible à la violence des échanges. Il est question dans la pièce de crise d’identité proche de la schizophrénie, d’amour incestueux, de révolte, de suicide… Ce théâtre sur le théâtre dans lequel on joue à jouer est une cérémonie autodestructrice où les repères fondent jusqu’à se perdre. En imaginant un jeu aussi troublant et vertigineux, Genet n’aurait jamais pensé être monté comme un mauvais boulevard.