L’autotune policier et pas policé d’Anne Corté à Actoral
C’est ce qui s’appelle une révélation. Comment expliquer que, jusqu’à présent, le nom d’Anne Corté ne soit pas arrivé jusqu’à nos oreilles ? Faute avouée est à moitié pardonnée, paraît-il ! Sa dernière création, Autokèn se donnait à Actoral (Marseille). Un choc.
Bavure
Elle se lance sur scène et attaque avec un aplomb qui n’autorise aucun relâchement de la part du spectateur. Elle balance comme une attaque cette histoire folle à tout point de vue. Nous sommes en septembre 2016 et des gars traînent devant un distributeur automatique de billets en tractopelle, comme ça, 20 minutes (20 minutes !), jusqu’à être poursuivis par les flics… qu’ils arrivent à semer ! Et dans la folie de la poursuite, ils se trompent de coupables, prennent un geste pour un autre et tirent.
Autokèn nous raconte une histoire de violence policière, d’une bavure. Mais ce qui intéresse Anne Corté, c’est la décomposition. Celle de la voix et celle du récit. La pièce se concentre donc sur un temps très court qui va du tir tragique de la policière à l’arrivée « immédiate » de l’ambulance.
Multiple
Seule mais multiple, elle déploie une force et une inventivité inouïes. Elle porte un short, un sweat à capuche sans manches et des baskets rouges, prête à se battre finalement. La création lumière de Charlotte Ducousso est un écrin, elle sculpte des lignes qui sont des scènes dans la scène. Anne Corté performe à tous les niveaux. Son texte est ciselé et précis, comme la trajectoire de la balle qu’elle danse, climax de beauté et de violence mêlées.
Là où l’acte est ici magistral c’est dans son travail sur le son et l’écoute. Elle est branchée à un ordinateur posé là presque négligemment. Elle a un boitier accroché à la ceinture qui lui permet de modeler sa voix et de devenir chacun des protagonistes de cette glauque affaire. Le son est parfois samplé, mixé selon la dramaturgie sonore pensée par Laurie Bellanca et réalisé par Maxime Jerry Fraisse. Loin d’être gadget, l’effet est ultramoderne. S’il y a bien une permanence dans la musique en ce début de millénaire, c’est bien l’autotune qui donne à chacun sa voix modifiée, rêvée presque ! C’est l’emploi de cet « outil » si cher aux pop songs teintées de hip-hop à un récit de théâtre sur la violence qui change tout.
Quand l’histoire arrive à sa fin et qu’avec elle s’achève le spectacle, nous sommes secoués par le fond et la forme, par la sensation de modernité folle du geste. On réalise à quel point nous avons été pris par le conte même, complètement saisis par l’histoire, pris par l’envie que ce mec blessé ne meure pas ! Mais quel mec ? Elle était seule en scène, non ? Pas sûr !
Retenez le nom d’Anne Corté, elle est à suivre de près.
Le Festival Actoral continue jusqu’au 9 octobre.
Visuel : ©Anne Corté/Autokèn