Une expérience lyrique originale à Dijon
Pour refermer sa saison lyrique, l’Opéra de Dijon propose une aventure lyrique inédite avec Koma de Georg Friedrich Haas, plongeant à plusieurs reprises la salle dans l’obscurité la plus complète, fosse d’orchestre comprise.
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Au début de la soirée, le public est préparé à l’expérience originale qui lui est proposée avec la création française de Koma, de Georg Friedrich Haas : plus de la moitié du spectacle se passe dans l’obscurité complète, y compris dans la fosse, et incluant l’extinction des signaux de sorties de secours – ce pour quoi il fallut s’affranchir de certaines réglementations imposées. On rassure ceux que le noir absolu inquiéterait ou oppresserait : le personnel de salle a été formé et renforcé pour faire face à toutes les situations et indispositions éventuelles. Réglée par Immo Karaman, une telle conception ne relève pas cependant d’un caprice arbitraire, mais cherche, au contraire, à coller au plus près du sujet du livret de Händl Kraus. Après une noyade dans des eaux hivernales, dont elle a échappé de justesse, Michaela a sombré dans l’hébétude, une sorte de coma cognitif, plus qu’absolument végétatif. Ses proches et le personnel hospitalier veillent sur elle, espérant la guérison, ou au moins une rémission, craignant sans cesse qu’elle ne sombre définitivement dans la nuit de la mort.
Toute en délicats micro-tons, la partition de Haas tisse un continuum sonore épousant les variations physiologiques de la patiente. La subtilité de l’écriture musicale, relayée par les pupitres du Kärntner Sinfonie Orchester, dont il faut saluer la performance, placés sous la baguette – parfois invisible – de Bas Wiegers, favorisent cette immersion, parfois jusqu’aux confins d’une sédation mimétique dans les séquences au cœur de ténèbres à laquelle notre contemporanéité, polluée de lumières, même au cœur de la nuit, n’est plus accoutumée. Rompant la concentration quasi silencieuse de l’écoute, lâchant prise avec nos habitus, les sorties épisodiques de la pénombre, qui, ça et là, peuvent se révéler aveuglantes, dévoilent la beauté dépouillée de la scénographie de Nicola Reichert, rehaussées par les projections vidéos de Laszlo Zsolt Bordos. Les ombres évocatrices, celles de l’entourage de Michaela, le réduisent à ces projections presque anonymes. A rebours des identifications précises de personnages, les voix résonnent d’abord comme un environnement sonore plus ou moins familier, reproduisant un magma cognitif, celui de l’héroïne, renforcé par l’absence de surtitres. A défaut de distinguer les interventions de chacun, on ne saurait ignorer l’engagement exigé par un défi redoutable pour des chanteurs, dont les qualités se mesurent aussi à l’aune de l’homogénéité des couleurs et des ensembles. Plus encore qu’un public germanophone qui ne peut pas toujours faire l’économie de la compréhension de répliques, les spectateurs dijonnais vivent sans doute une expérience troublante plus proche des intentions initiales des créateurs.
Gilles Charlassier
Koma, Haas, mise en scène : Immo Karaman, Opéra de Dijon, juin 2019
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