Un Haendel en voix et en épure à Francfort
L’Opéra de Francfort ouvre sa saison avec la reprise, dans la grande salle d’un Radamisto de Haendel épuré, conçu initialement pour sa deuxième scène, le Bockenheimer Depot.
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Il n’est pas toujours aisé de faire passer une production d’une scène à l’autre, surtout quand les deux plateaux n’ont pas les mêmes caractéristiques techniques. Imaginée par Tilmann Köhler, la production de Radamisto de l’Opéra de Francfort porte l’empreinte des contraintes du Bockenheimer Depot, la seconde maison de l’institution allemande où le spectacle a été créé en 2016. Sans coulisses, ni cintres, ni fosse traditionnels, l’espace invite à concevoir un objet scénographique qui pallie de manière fonctionnelle cette nudité. Karoly Risz a choisi d’inscrire tout le drame de Haendel sur un immense escalier, habillé régulièrement de projections vidéos – réalisées par Bibi Abel – qui évoquent des conflits armés d’hier et d’aujourd’hui, en écho aux nœuds politiques et sentimentaux de l’intrigue, avec une profusion de péripéties selon le goût de l’époque. Avec une économie maximale d’accessoires, le dispositif se concentre sur les ressorts psychologiques de l’argument, qui rend superflue la situation temporelle, au demeurant peu définie par les costumes de Susanne Uhl. Les lumières de Joachim Klein accompagnent cette épure visuelle non austère, qui se concentre sur les évolutions des personnages le long d’un plan incliné, ponctué de fonctions symboliques, sans cependant alourdir un propos dont l’issue se révélera tragique et sanguinaire, à rebours de la lettre – ne croyant pas à la soumission finale et réconciliatrice du tyran.
Dans un équilibre entre modernité et atemporalité, le résultat sert d’abord à mettre en avant les ressources théâtrales des incarnations chantées.. Dans le rôle-titre, Dmitry Egorov résume les qualités d’un contre-ténor à la fois vaillant et lyrique, à même de restituer la complexité d’un personnage noble de premier plan. La tenue de la ligne autorise une virtuosité qui sert la caractérisation affective : nulle vanité dans cette démonstration de moyens aussi évidente que nourrie d’une sensibilité et d’une musicalité accomplies. Le sopraniste Vince Yi contraste par un éclat plus léger et vindicatif, à même de souligner l’ambition juvénile du frère de Tiridate, dont Kihwan Sim condense la cruauté par sa pâte sombre. Kateryna Kasper rend justice à la pitié de Tigrane. Zanda Svede séduit par sa Zenobia palpitant d’une tendresse qui affleure également dans les tourments de la Polissena nuancée de manière investie par Jenny Carlstedt. Bozidar Smiljanic ne démérite aucunement en Farasmane, souverain malmené par le Destin. A la tête de l’Orchestre du Musée et de l’Opéra de Francfort, Simone Di Felice fait respirer les saveurs et la vigueur authentique d’une partition généreuse en airs magnifiques, dans une production qui justifie un retour au répertoire.
Gilles Charlassier
Haendel, Radamisto, mise en scène : Tilmann Köhler, Opéra de Francfort, septembre 2019
©Barbara Aumueller