Opéra
Orlando, une création par-delà les genres à l’Opéra de Vienne

Orlando, une création par-delà les genres à l’Opéra de Vienne

14 December 2019 | PAR Gilles Charlassier

L’Opéra de Vienne fait l’événement en cette fin d’année, avec la création d’Orlando, opéra d’Olga Neuwirth inspiré par le roman homonyme de Virginia Woolf, qui fait exploser les frontières entre les genres.

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La cause des femmes progresse, même dans le domaine musical, où, longtemps, elle a eu du à mal à se faire entendre. Avec Orlando, Olga Neuwirth est la première compositrice à être programmée à l’Opéra de Vienne. Cela aurait pu déjà avoir lieu il y a une quinzaine d’années, quand l’Autrichienne avait proposé un projet finalement écarté en raison d’un sujet jugé alors trop audacieux. C’est Dominique Meyer, le directeur de l’institution depuis 2010, qui reprend contact avec elle en 2014. Ce sera une adaptation d’Orlando, roman de Virginia Woolf, biographie fictive d’un personnage qui traverse l’Histoire en changeant de sexe, se réveillant femme après un sommeil convalescent au sortir d’un champ de bataille.

Si la musicienne quinquagénaire est loin d’être une novice dans le registre lyrique, c’est ici son ouvrage scénique le plus proche des formes et des dimensions usuelles à l’opéra : ses autres opus relèvent davantage du théâtre musical, et affichent une durée qui dépasse rarement une heure trente – c’était au demeurant la longueur qu’elle avait initialement imaginée pour Orlando. Pour autant, en trois heures et un entracte, la présente commande de l’Opéra de Vienne ne s’incline pas sagement devant la tradition. Rythmés par une ritournelle et une toupie qui matérialisent le saut d’une époque à l’autre, depuis l’Angleterre élisabéthaine à notre troisième millénaire, les dix-neuf tableaux témoignent d’un foisonnement qui renouvelle les formes établies et s’abreuve à un éclectisme flirtant avec les styles les plus divers, jusqu’à l’archive sonore et au rock, sans chercher à les fondre dans un maelström. D’une belle fluidité narrative en première partie, la trame se fait plus explicitement politique à l’approche de notre époque contemporaine – le fils d’Orlando est campé par un artiste transgenre, Justin Vivian Bond, dans un registre entre la performance et le cabaret.

Dans le dispositif dessiné par Roy Spahn, où le travail vidéo de Will Duke a une part significative, la mise en scène de Polly Graham porte l’empreinte de l’étroite collaboration entre la partition et le spectacle visuel. La spatialisation des choeurs d’enfants, au fil de la soirée, ou encore les noms des victimes des camps de concentration qui s’écrivent sur un tulle pendant que résonne un vieil enregistrement du Largo du Concerto pour deux violons de Bach, en donnent de saisissants exemples. Le vestiaire conçu par la maison de couture Comme des garçons joue avec la pièce d’une indéniable complicité dans la transgression jubilatoire des genres, musicaux comme sexuels.

Dans ce plaidoyer pour une identité fluide au carrefour des esthétiques, la troublante incarnation de Kate Lindsey dans le rôle-titre se distingue par son engagement et sa sensibilité, aux côtés de la Narratrice campée par Anna Clemens, et dont la parole déclamée affirme une musicalité introspective toujours attentive à l’intelligibilité. Au sein d’un plateau d’une trentaine de personnages, on retiendra le diaphane Ange Gardien d’Eric Jurenas, la Reine Elisabeth I de Constance Hauman, les savoureux portraits de Shelmerdine et Greene par Leigh Melrose ou encore les interventions d’Agneta Eichenholz en Sasha et Chasteté. Sous la direction précise et panoramique de Matthias Pintscher, les musiciens de la fosse de la Staatsoper font vivre cette fresque stimulante et composite à la destinée vraisemblablement évolutive.

Par Gilles Charlassier

Orlando, Neuwirth, Staatsoper, Vienne, décembre 2019

©Wiener Staatsoper

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Gilles Charlassier

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