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Opéra cinématographique à Nancy

Opéra cinématographique à Nancy

04 May 2019 | PAR Gilles Charlassier

Célébrant son centenaire, l’Opéra national de Lorraine met à l’affiche la première scénique française des Hauts de Hurlevent de Bernard Hermann, compositeur généralement associé aux films de Hitchcock.

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Pour sa dernière saison, qui coïncide avec les célébrations du centenaire de l’Opéra de Nancy, dans son bâtiment de la place Stanislas, Laurent Spielmann confirme l’équilibre de ses choix de programmation depuis près de deux décennies, entre grands titres du répertoire et raretés et créations. Sur ce dernier point, les amateurs d’inédits sont comblés avec pas moins d’une création mondiale, 7 Minuti, une résurrection baroque, La divisione del mondo, et une première scénique française, Les Hauts de Hurlevent. Si Bernard Herrmann est d’abord connu comme l’auteur des musiques des films de Hitchcock, il a aussi accompagné d’autres réalisateurs, à l’instar de Truffaut, et son œuvre compte également des formats plus classiques, à l’exemple de cet unique opus inspiré par le roman homonyme de Emily Brontë, créé à Londres en 1966 et que les mélomanes français avaient pu entendre en concert en 2010 au festival de Radio-France à Montpellier.

A rebours des tentations d’avant-garde de l’époque, Herrmann compose une partition que d’aucuns qualifieraient de néo-romantique, aux influences multiples – le programme cite l’expressionnisme de Zemlinsky ou du premier Schönberg, mais on songe surtout à la musique tchèque, Dvorák ou Janacek – et surtout remarquablement efficace. Avec son trait de flûte strident et ses percussions menaçantes, le prologue installe un climat inquiétant, et signale d’emblée un talent évident pour caractériser les atmosphères, façonnant des tableaux reconnaissables et contrastés. D’une admirable fluidité narrative, l’écriture accompagne une facture vocale attentive à la lisibilité du drame, sans jamais sacrifier l’expression lyrique, dans un pragmatisme que certains diront anglo-saxons, du moins indifférent aux querelles de chapelle. De fait, on se laisse aisément prendre dans les rets d’une intrigue teintant la violence des sentiments et de la vengeance d’un soupçon de lecture sociale, certes un peu convenue.

Caractérisant admirablement les personnages, le plateau vocal est dominé par l’incarnation de John Chest, Heathcliff buriné au timbre de bronze dans lequel se moulent les tourments et les humiliations de l’orphelin. Relativement jeune, le baryton américain fait montre d’une indéniable maturité et d’une maîtrise évidente de ses moyens significatifs. En Catherine Earnshaw, Layla Claire module la tension entre ses aspirations de respectabilité et ses sentiments profonds. Thomas Lehman résume la cruauté veule d’un Hindley alcoolique précoce, face à la veille sourcilleuse de Nelly Dean, la gouvernante, confiée à la fierté maternelle de Rosie Aldridge. La pâleur circonstanciée du Linton d’Alexander Sprague contraste avec la flamme précipitée de sa sœur pour Heathcliff. Mentionnons encore les interventions d’Andrew McTaggart en Joseph et de Johnny Herford, Lockwood. Préparés par Merion Powell les chœurs remplissent leur office, quand la direction de Jacques Lacombe restitue les qualités cinématographiques – au meilleur sens du terme – de l’ouvrage.

Quant à la mise en scène d’Orpha Phelan, elle s’appuie sur le dispositif scénographique unique de Madeleine Boyd. Le plancher vallonné suggère autant les espaces d’une propriété terrienne que les reliefs des landes du Yorkshire, et se décline au fil des saisons et des situations par les lumières de Matt Haskins et les vidéos réglées conjointement avec Anouar Brissel. De même que les costumes affichent une certaine fidélité au début du dix-neuvième siècle, le présent travail s’attache d’abord à une crédibilité dramaturgique que ne renierait pas le septième art, allant jusqu’à doubler par des figurants enfants les trois personnages principaux au début de l’histoire, conjuguant habilement mémoire et réalisme. Dans ces Hauts de Hurlevent nancéens, les forces artistiques se révèlent au diapason.

Gilles Charlassier

Les Hauts de Hurlevent, Herrmann, mise en scène : Orpha Phelan, Opéra national de Lorraine, jusqu’au 12 mai 2019

© C2images pour l’Opéra national de Lorraine

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